Le CONGO RDC et les profiteurs de guerre

Une tragédie oubliée du mouvement mondial pour la paix ?

Après des décennies de colonisation, de dictature et de guerre, la République Démocratique du Congo a fait prêter serment à un président, Joseph Kabila, élu lors d'un scrutin libre et équitable pour la première fois depuis l'indépendance de l'ancienne colonie belge, en 1960.

La guerre civile et internationale qui a duré six ans, pendant laquelle sont mortEs plus de quatre millions de personnes tandis que deux autres millions ont été déplacéEs, s'est peut-être officiellement terminée mais l'agonie perdure. Chaque jour apporte au Congo son lot d'atrocités liées au conflit (où le viol est largement utilisé comme une arme par toutes les parties en présence) de famine, de pauvreté et de maladies avec plus de 1 200 victimes. Ce conflit est assurément l'une des tragédies les plus sous-médiatisés de notre génération. C'est pourtant l'une des plus meurtrières depuis la seconde guerre mondiale. Des décennies acharnées de violences, de pauvreté et de maladies ont créé ce que les Nations-Unies ont appelé le plus grand défi humanitaire auquel le monde doit aujourd'hui faire face.

Le Congo a une longue histoire de pillages et de profits sur la guerre. Extrêmement riche en cobalt, diamants, cuivre, or et en autres minéraux rares, le Congo n'a attiré l'intérêt des puissances impérialistes européennes qu'à la fin du XIXe siècle. Au cours de la Conférence de Berlin (1884-1885), le roi de Belgique de l'époque, Léopold II, qui revendiquait ce vaste territoire a obtenu gain de cause. En son nom, le roi a créé le mal nommé "État Libre du Congo" qui a vite vu démarrer une exploitation brutale de son bois, de son ivoire et de son caoutchouc naturel. On pense que près de la moitié de la population a disparu du Bassin du Congo entre 1880 et 1920 en conséquence directe ou indirecte de ce pillage colonial impitoyable.

Le Congo a obtenu son indépendance vis à vis de la Belgique le 30 juin 1960, sous la présidence de Kasavubu, alors que Patrice Lumumba en était le Premier ministre charismatique et populaire. A suivi une période de grande instabilité avec des interventions militaires étrangères y compris émanant des Nations-Unies. Les provinces du Katanga et du Sud Kasaï, riches en minéraux, ont bientôt déclaré leur indépendance avec l'appui des entreprises coloniales et de mercenaires. En 1965, ce fut finalement le second coup d'état du colonel Joseph Mobutu qui a marqué le début d'un règne de 32 ans d'un dictateur soutenu par les puissances occidentales. Il a changé son nom pour Mobutu Sese Seko et celui de son pays pour le Zaïre. Mobutu et sa cour ont pillé les richesses de la nation si intensément que le système corrompu est devenu célèbre sous le nom de "kleptocratie". Ce système s'est effondré en mai 1997 quand le rebelle de toute une vie, Laurent-Désiré Kabila, père de Joseph, a poussé vers la sortie un Mobutu au stade terminal de la maladie.

L-D "Mzee" Kabila n'a pu conquérir le pouvoir au Congo qu'avec un soutien militaire massif du Rwanda et de l'Ouganda, ainsi que l'utilisation d'enfants soldats. En août 1998, le Rwanda et l'Ouganda ont appuyé une rébellion contre le gouvernement faible et corrompu de L-D Kabila, une guerre surnommée "première guerre mondiale africaine" à cause des nombreuses similitudes avec l'Europe de 1914-1918 : presque tous les pays de la région et de nombreux groupes armés ne dépendant pas de l'État venant du Congo mais aussi de toute la région des Grands Lacs (Ouganda, Rwanda, Burundi, Soudan). Des troupes principalement en provenance du Zimbabwe, de Namibie, du Tchad et d'Angola ont assuré la survie du régime de Kabila, quand l'Ouganda de Museveni et le Rwanda de Kagame étaient les principaux soutiens de la rébellion. Le Rwanda a justifié son intervention au Congo-RDC oriental par les risques qu'entraînaient pour sa propre sécurité les rebelles Interahamwe basés dans cette région. Mais il y avait aussi de très importantes motivations économiques derrière les actions du Rwanda et de l'Ouganda.

En janvier 2001, L-D Kabila était assassiné par ses gardes du corps, dans des circonstances toujours non-élucidées, laissant le pouvoir à son fils.

La guerre a eu des effets destructeurs sur des structures politiques déjà malmenées, avec en particulier, la division de fait du pays entre les parties occidentale et méridionale contrôlées par le gouvernement de Kabila ou ses alliés, et de vastes territoires qui, au Nord et à l'Est, sont contrôlés par différentes factions et milices rebelles ou armées des pays frontaliers. Les combats et les luttes pour le pouvoir quant au contrôle des ressources minérales dans les territoires tenus par les rebelles ont causé une catastrophe humanitaire. Près de 90 % des victimes de la guerre sont des civilEs, la plupart victimEs de la famine, de la violence criminelle et des maladies qui résultent d'une absence totale d'ordre public. Le viol a largement été utilisé comme une arme dans cette guerre.

Malgré un accord de paix signé en décembre 2002 sous l'égide de l'Afrique du Sud, lequel a prétendument mis fin à la guerre conventionnelle, les combats continuent dans l'Est du pays entre les milices rebelles, l'armée congolaise et les casques bleus de la MONUC, causant de nombreuses victimes civiles.

Depuis la mise en place d'un gouvernement de transition en juin 2003, des groupes armées en lien avec les pays voisins et des officiels du gouvernement congolais corrompu ont poursuivi une exploitation économique illicite du pays. Une mission de recherche de trois ans conduite par un panel d'experts mandaté par le conseil de sécurité de l'ONU en 2000, a découvert que les réseaux sophistiqués de personnalités économiques, militaires et politiques en collusion avec différentes factions rebelles alimentaient le conflit de manière intentionnelle pour garder leur main mise sur les ressources naturelles du pays. Dans une série de rapports contradictoires le panel a mis à jour le cercle vicieux du conflit pour les ressources naturelles qui s'est emparé du Congo.

"Il y a un intérêt partout dans le monde pour que les mécanismes actuels du pillage restent en place. Le nombre de gens à siphonner les ressources du Congo est énorme. [...] L'élite du gouvernement congolais, toutes sortes de compagnies européennes ou nord-américaines, une quantité importante de sociétés africaines, et particulièrement les élites des pays voisins. C'est un réseau très vaste et complexe qui profite de la guerre et de son exploitation".

Dans son rapport de 2002, le Panel a aussi accusé des douzaines d'entreprises occidentales de violer une série de critères internationaux soutenus par les gouvernements pour un commerce responsable, connus sous le nom de "Principes directeurs à l'intention des entreprises multinationales". Un rapport d'avril 2004 de RAID "Droits et responsabilité en matière de développement", association britannique travaillant à une cohésion entre commerce équitable, développement durable et droits de l'homme, a examiné les allégations du Panel de l'ONU envers 40 entreprises et a ajouté des preuves supplémentaires démontrant l'implication de ces sociétés dans des violations des droits de l'homme, dans la corruption et/ou dans l'exploitation illégale des ressources. La plupart des gouvernements de l'OCDE a refusé d'instruire les allégations du Panel. Face à cette inaction, des ONG internationales ont commencé la rédaction de plaintes ainsi que des campagnes pour alerter le public intitulées "Pas de sang sur mon portable", à propos du pillage du coltan, un minerai très rare. Une douzaine de plaintes contre des violations des "Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales" a été présentée aux gouvernements américains, belges, britanniques et hollandais.

"Le gouvernement du Congo RDC doit agir rapidement selon les recommandations de la mission parlementaire congolaise qui a mis en évidence l'exploitation illicite des ressources naturelles et le profit tiré du conflit armé", a indiqué, en juillet 2006, une coalition d'organisations d'aide humanitaire, de défense de l'environnement ou des droits de l'homme.

En juin 2005, la commission Lutundula, une commission spéciale de l'Assemblée nationale congolaise menée par Christophe Lutundula, un parlementaire courageux, a soumis un rapport de ses investigations relatives aux contrats miniers et d'autres secteurs que les rebelles et les autorités gouvernementales avaient signés entre 1996 et 2003. La commission a découvert que des douzaines de contrats étaient illégaux ou de faible apport pour le développement du pays. Le rapport recommande de rompre ou de renégocier ces contrats. Il recommande en plus une action judiciaire à l'encontre de plusieurs acteurs politiques et économiques de premier plan impliqués dans ces opérations. "Pendant des années, des politiciens congolais ont conclu des affaires qui les ont enrichis sans que le public, au Congo, n'en bénéficie. Les bénéfices de ce commerce ont souvent été engrangés au prix de souffrances énormes et de la perte de vies humaines", ajoute la coalition des ONG.

Le rapport de la commission Lutundula attire l'attention sur la poursuite de l'exploitation illicite des ressources et recommande un moratoire immédiat sur les nouveaux contrats en attente des élections. Pendant que la commission instruisait ses recherches, des membres ont été menacés et ils ont rencontré des difficultés pour obtenir des réponses des chefs d'entreprises, des politiques et des hauts fonctionnaires. Des hauts fonctionnaires des Nations-Unies et du Sénat belge, qui avaient effectué des recherches sur l'extraction des ressources naturelles au Congo entre 2000 et 2003, ont refusé de communiquer d'importantes informations relatives à des échanges illicites, invoquant des problèmes de confidentialité.

Dans son rapport, la commission corrobore les principales découvertes du Panel des experts de l'ONU et d'autres recherches qui ont conclu que les belligérants étaient motivés par leur désir d'exploiter la richesse économique et minérale du Congo. Les belligérants ont utilisé certains de leurs bénéfices pour financer de nouvelles opérations militaires, qui signifiaient souvent répandre les abus des droits fondamentaux de civilEs et les violations du droit humanitaire international.

"Le message envoyé par la guerre et la transition au Congo est que la violence fonctionne. Sans une réponse adaptée, les effets destructeurs de cette leçon risquent de se faire sentir pour longtemps encore", explique Timothy Raeymaekers, membre de l'unité de recherche sur les conflits de l'université de Gand. Cet auteur voit dans la remise en cause de l'exploitation systématique des ressources du Congo par une petite mais puissante élite, des opportunités d'améliorer les conditions de vie de la population congolaise. L'unité de recherche propose des mesures concrètes quant à une réforme agraire, quant au secteur minier et quant à l'intégration économique. Le pillage via l'extraction illicite par des proches du gouvernement et par les milices rebelles se monte à des milliards annuels. "Cet argent doit être utilisé au profit de la population congolaise".

Jan van Criekinge

La version complète de cet article avec ses sources a été publiée dans le bulletin électronique de l'IRG Contre les profiteurs de guerre de décembre 2006, disponible sur /pubs/warprof-0612.htm

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