Mexico: "tous contre tous", une guerre sans foi ni loi

Cela fait longtemps – trop longtemps – que la situation au Mexique se dégrade sans que la communauté internationale ne bouge le petit doigt. Dû à un taux d'homicides record, on envoie les tanks de l'armée patrouiller sur les côtes d'Acapulco, pendant que se joue au même moment, à quelques kilomètres de là, un tournois de tennis international de haut niveau – "Business as usual". L'image que le Mexique renvoie au monde est celle d'un pays en proie à des problèmes d'insécurité, menacé par quelques groupes criminels impliqués dans le narcotrafic. Avant l'été 2014, lorsqu'elle abordait le sujet du Mexique, la presse internationale s'intéressait surtout au PIB et à sa croissance. Les politiciens européens et américains ne tarissaient pas d'éloges à l'égard du président Peña Nieto et le félicitaient pour le bon déroulement de ses réformes néolibérales, basées sur la privatisation de l'entreprise pétrolière nationale Pemex (troisième mondiale). A en croire les journaux occidentaux, c'est à peu près tout ce qu'il se passait au Mexique. Les narcotrafiquants faisaient pourtant tout leur possible pour que leurs atrocités soient exposées dans la presse internationale, espérant ainsi contrôler la population par la peur, mais c'était sans compter sur un gouvernement qui consacre la majeure partie de son temps – et probablement de son budget – à redorer l'image du Mexique.

Dans le pays des merveilles crée par le gouvernement mexicain, la réalité est pourtant bien moins rose. Ce qui a commencé comme une "guerre contre le narcotrafic" en 2006, a rapidement pris des allures de massacre où l'on se bat tous contre tous, dans une guerre sans règle, ni pitié, et sans miséricorde pour les sans défense. Au Mexique, le drapeau blanc n'existe pas. Le cessez-le-feu n'existe pas. Il n'existe aucune forme de respect pour quiconque croise le chemin d'un groupe armé. Au Mexique, on tire sur les défilés d'enfants et les étudiants sont brûlés vifs. Des milliers de femmes sont séquestrées, violées et vendues comme esclaves sexuelles. Les hommes, eux, sont pendus à des ponts en plein jour. Ceux qui se rendent sont exécutés, puis leurs corps sont balancés dans des fosses communes clandestines ou dissous dans l'acide. Et ceux-ci ne sont que des exemples parmi tant d'autres.

Depuis 2006, c'est chaque année plus de 10 000 personnes qui sont tuées et cela continue encore aujourd'hui, en 2014. Des milliers de personnes perdent la vie à cause de ce "problème mineur". Et ces chiffres prennent seulement en compte les victimes officielles. Le chiffre réel reste inconnu, il peut seulement être estimé, mais on parle d'au moins des milliers de morts supplémentaires. Il inclue ceux que l'on considère comme "disparus" et bien d'autres, à commencer par les immigrants d'Amérique centrale. Mais, ces groupes criminels de narcotrafiquants sont-ils réellement capables de tuer tous ces gens? Peuvent-ils vraiment y arriver seuls? Si non, qui les aide?

Il est évident que les plus hauts gradés de l'armée ont leur rôle à jouer dans les activités des narcotrafiquants. Plusieurs généraux de l'armée ont d'ailleurs été arrêtés pour ce motif a la fin du mandat de Felipe Calderon, mais ils ont été libérés à l'arrivée à la présidence de Peña Nieto. Après cela, il a encore fallu travailler dur pour que l'armée ne soit pas perçue comme une entité totalement corrompue de l'intérieur. Alors, en janvier 2014, on a organisé une fête militaire sur la place centrale de Mexico, avec pour thème: "Les forces armées, la passion au service du Mexique". On y trouvait, entre autres propagandes militaires, des jeux pour enfants qui étaient organisés par les soldats. Puis tout au long de l'année 2014, l'armée s'est servie des bus à touristes comme panneaux publicitaires. Leur campagne, semblable à celles des armées européennes, ressemblait à une campagne humanitaire, présentant une armée-ONG bien différente de celle qui viole régulièrement les droits de l'homme.

Par vous donner un exemple, il a récemment été mis en évidence que des militaires avaient participé à l'exécution de 22 personnes dans la ville de Tlatlaya. Le gouvernement a immédiatement tenté de rattraper l'affaire et de présenter ce massacre comme une victoire de l'armée contre les narcotrafiquants. Néanmoins, le procureur général de la République a accusé trois militaires d'homicide pour avoir participé au massacre de Tlatlaya: ce sera la première fois que des militaires paraissent devant un tribunal civil. Les cas d'enlèvements, de tortures et d'assassinats perpétués par les militaires à ce jour, sont, sont considérés par la majeure partie de l'opinion publique comme des incidents mineurs. Les défenseurs des droits de l'homme se heurtent à un blocus médiatique de la part des principaux média et notamment face aux deux grandes corporations télévisées: Televisa et TV Azteca. Ainsi, les actes de violation des droits de l'homme commis par certains membres de l'armée n'ont pas de mal à rester dans l'ombre. Si le cas Tlatlaya arrivait à la Court Inter-Américaine des Droits de l'Homme, comme l'annoncent certaines grandes ONG internationales, maintenir l'image du "bon soldat" deviendrait bien plus difficile. Qui plus est, l'opinion publique quant à la police n'a jamais été très positive. Il y a eu trop de cas de corruption et d'affaires douteuses avec les narco-trafiquants et il règne un climat de méfiance presque absolue envers la police, de l'agent local au fédéral.

Le cas de la disparition des étudiants de l'école normale rurale d'Ayotzinapa, dans l'état de Guerrero, illustre clairement la métastase transversale du crime dans le corps de l'état. Sur les ordres du maire d'Igualda, ou plus exactement de sa femme – qui n'a officiellement aucun pouvoir politique – la police locale a tiré sur un bus rempli d'étudiants rebelles (opposés à ce qu'elle remplace son mari au poste de maire) et de quelques jeunes sportifs, qui se trouvaient tout simplement au mauvais endroit au mauvais moment. Les jeunes qui ont survécu à l'attaque ont été arrêtés par la police et remis à un groupe criminel appelé "Guerriers Unis" – un groupe, en réalité composé de nombreux membres de la police locale. Il y a également eu un deuxième assaut pour les survivants qui s'étaient échappés. Pendant ce temps, l'armée, dont la base se trouvait à seulement cinq kilomètres de là, a refusé de secourir les étudiants qui avaient réussi à s'enfuir, leur répondant qu'ils l'avaient bien cherché en se frottant aux mauvaises personnes: politiciens, trafiquants, policiers. L'état a d'abord essayé de rejeter la faute sur le narcotrafic afin de dévier l'attention du fait que l'état et les narcotrafiquants ne sont pas simplement liés par des liens étroits, mais qu'ils sont en fait qu'une seule et même entité. Puis, quand la disparition des étudiants a commencé à faire trop de bruit, à la fois au niveau national et international, le gouvernement de l'état de Guerrero a tenté de soudoyer les familles des disparus en leur offrant 100.000 pesos (l'équivalent de 6.000 euros) chacune contre leur silence.

En recherchant les étudiants d'Ayotzinapa, on a déjà découvert plus de 10 fosses communes où les narco-policiers enterraient leurs victimes, et cela, rien qu'aux alentours d'Iguala. Dans la même veine, lors du drainage des eaux de la ville d'Ecatepec – qui fait partie de la zone urbaine collée à Mexico – on a retrouvé entre 20 et 40 corps dans l'eau. L'idée que le Mexique n'est une grande fosse commune commence à émerger dans l'esprit des gens.

Interférer avec les politiciens coûte également cher aux activistes indigènes. Mario Luna, porte-parole de la communauté yaqui – qui lutte contre l'aqueduc Indépendance dans l'État de de Sonora, au nord du Mexique – a été arrêté par un groupe de personnes vêtues de civil, puis conduit dans un véhicule non officiel vers une direction inconnue. La communauté a ensuite été informée que Mario Luna avait été arrêté pour avoir séquestré pendant deux jours, à l'aide de l'un de ses camarades, un membre de la communauté yaqui. La personne soit-disant "séquestrée" par les autorités traditionnelles yaquis – qui, d'après la constitution mexicaine, était tout à fait dans ses droits – avait tenté de renverser plusieurs personnes qui bloquaient une route pour manifester contre l'aqueduc. Les autorités traditionnelles ont écrit aux autorités étatiques pour leur expliquer qu'il était légal pour la communauté yaqui de juger un membre de sa communauté, d'autant plus que, Mario Luna n'était pas présent lors de l'arrestation du membre en question, et que ce n'était certainement pas lui qui avait demandé sa détention. Néanmoins, à ce jour, Mario Luna reste derrière les barreaux. Il existe de nombreux cas similaires, parmi lesquels il se doit de mentionner la récente affaire des communautés de Xochicuautla et de Hutzilizapan. Dans ces villages, situées à peine à une heure de Mexico, des centaines de policiers armés sont intervenu pour mettre fin au mouvement de protestation du peuple indigène Otomi contre un projet d'autoroute qui passerait en plein milieu de leur forêt sacrée. Le 3 novembre 2014, la police a arrêté 8 personnes qui manifestaient pacifiquement contre la destruction de la forêt et qui bénéficiaient, qui plus est, de la protection judiciaire en faveur de leur cause. Il semblerait que les paroles et les ordres du gouvernement de l'état de Mexico aient davantage de poids pour la police que les décisions judiciaires en faveur de la communauté Otomi.

La disparition des étudiants d'Ayotzinapa, contrairement beaucoup à d'autres cas, dont certains bien plus sanglants et bien plus meurtriers, s'est faite connaître à l'international, grâce à des mobilisations massives dans tout le Mexique et dans plus d'une centaine de villes dans le monde. Cette affaire a entraîné la fermeture des universités, elle a fait de la cérémonie de récompenses cinématographiques l'acte culturel le plus politisé, jamais retransmis en direct à la télévision. Elle a amené plus de 50.000 personnes à se réunir pour former des manifestations spontanées dans le rues de Mexico, sans êtres soutenues par aucun parti politique. Cette affaire, en ce moment précis, marque un tournant dans la prise de conscience.

Elle nous amène à nous demander si l'état mexicain existe vraiment ou s'il est déjà mort ? – comme on a pu le voir écrit dans les manifestations d'Ayotznipa. Peut-être que le Mexique est simplement un territoire gouverné et contrôlé par un groupe de criminels aux profils variés, qui possèdent différentes stratégies et modes d'action, et occupent des rôles de "défense" et de "protection" au cœur de la structure politique et judiciaire. Bien que vaille pour de nombreux pays, reconnaître ce fait serait pour Mexico, un vrai pas en avant et une condition essentielle pour la future reconstruction du tissu social.

Les manifestants des nombreuses marches en soutien aux étudiants disparus ont bien compris qui était responsable de ce crime et le disent d'une voix unie: C’EST L'ETAT. Ceux qui ont encore l'espoir, dans l'affaire d'Ayotzinapa, sont bien conscients qu'il suffirait d'une goutte d'eau pour faire déborder le vase. C'est seulement lorsque l'affaire Ayotzinapa a éclaté que les manifestations en faveur de la libération de Mario Luna ont pris toute leur force. Est-ce-qu'il se passerait quelque chose de plus si les mobilisations pour Ayotzinapa arrivaient à un moment critique pour les autorités? Au final, on a le sentiment que le vase mexicain est sans fond et que l'eau qu'on y verse s'écoule par le bas, l'empêchant de jamais pouvoir déborder. Espérons que l'on se trompe.

N.C.

Traduction: Laura Sanquer

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