Un modèle pour s’organiser

Article du Fusil brisé The Broken Rifle No 47, February 2001, sur un modèle pour s’organiser contre l’OMC à Seattle en 1999, publié dans le numéro spécial Nonviolence & Empowerment [Nonviolence et émancipation].

Viv Sharples

Cette structure de base pour l’organisation a été utilisée pour les deux manifestations contre l’Organisation mondiale du commerce à Seattle (30 novembre 1999 – N30) et contre le FMI/Banque mondiale dans l’État de la capitale Washington (16 et 17 avril – A16). Elle a pour but d’émanciper, d’autonomiser, d’être démocratique, adaptable et globale.

Organiser des collectifs

Au cours des mois précédents les manifestations, s’était mis en place un collectif structuré avec rotation des porte-paroles représentants chaque groupe de travail, prenant des décisions par consensus sur le fonctionnement de la structure, le budget, la logistique des évènements, tout en s’assurant que les groupes de travail étaient coordonnés efficacement et ne faisaient pas de tâches en doublons. Les réunions étaient ouvertes à tous, mais la prise des décisions était limitée au groupe de travail des porte-paroles. Au début de chaque réunion, le facilitateur expose les grands traits du processus de décision pour les personnes qui n’étaient pas habituées à fonctionner au consensus. Pour l’action d’avril (A16), les comptes-rendus des assemblées générales et des réunions en groupes de travail étaient envoyés dans les jours suivants sur des listes de courriels et un site Internet (www.A16.org) était mis à jour au fur et à mesure de la progression des plans [à cet égard, ça a été mieux organisé et plus efficacement que lors des préparatifs du N30].

Convergence

Environ une semaine avant les actions a eu lieu une Convergence/Forte intensité de compétences/Festival de résistance : huit à dix jours d’entraînement, ateliers, forums éducationnels, construction de supports, groupes affinitaires d’actions directes, actions locales, conduisant aux journées d’actions directes de masse.

Riche en couleurs, chaotique et bondée, la Convergence a joué un rôle vital en permettant aux gens de tous horizons de se réunir et se connecter les uns les autres, s’enregistrer, trouver ce qui se déroule et comment s’y incorporer, se loger, former des groupes affinitaires, imaginer la coordination de l’action, préparer les manifestations, apprendre et pratiquer de nouvelles compétences, manger ensemble, et créer de beaux drapeaux, banderoles, poupées géantes et autres accessoires.

Nous avons appris que nous avions besoin d’espaces assez grands pour tenir des réunions aussi énormes et de quelques endroits pour des gros exercices de formation et aussi de ne pas emmagasiner tous les accessoires, fournitures médicales, etc. dans un seul lieu, ce qui nous rendrait plus vulnérables face aux rafles de police et de les clôturer comme celui que nous avions dans le District County [celui de la capitale] le jour avant les grandes actions A16.

Groupes d’affinités

Les actions directes étaient fondées sur l’autosuffisance, les groupes d’affinité autonomes (GAA) : des petits groupes de trois à vingt personnes qui participent aux actions et se soutiennent mutuellement. Les gens forment souvent des GAA entre amis, collègues de travail, ou avec d’autres partageant des intérêts ou identités communs. Ces petites équipes apportent un soutien émotionnel, des réactions vites adaptables aux changements de conditions pendant l’action, créent un espace où la voix de chaque personne peut être entendue et prise en considération, deviennent plus difficiles à infiltrer et sont capables d’autonomie au regard des besoins en logistique et en soutien, avant, pendant et après les manifestations.

Les rôles au sein des GAA incluent habituellement des gens préparés à se faire arrêter, des coordinateurs de soutien, des observateurs juridiques, des gens pour les premiers soins médicaux, des facilitateurs de réunions et des porte-paroles pour les réunions d’action du conseil des GAA fonctionnant au consensus. Quelques groupes affinitaires avaient aussi une personne chargée des relations avec la police, des caméramans/photographes, responsable des relations avec les médias, équipe tactique, responsables des communications par radio et téléphone.

Chaque GAA donne pouvoir à un porte-parole pour le représenter aux réunions du conseil des GAA. Plusieurs groupes se retrouvaient avec d’autres de la même région/organisation/options idéologiques pour former une sorte de grappe soudée, « un agrégat », qui se coordonnait et participait ensemble aux actions de masse.

À la fois à Seattle et Washington DC, l’aire autour du rassemblement était divisée en secteurs, et les GAA-agrégats prenaient la responsabilité de bloquer leur part du site de la façon qu’ils choisissaient, se liant en formant des « tortues », s’attachant à des objets, s’asseyant les bras entremêlés, improvisant une fête de rue, construisant des barricades, etc.

En gros, le modèle a bien marché. Il essayait de permettre à quelques milliers de personnes de diverses origines géographiques, sociales, philosophiques, de prendre part ensemble à une action directe de manière à les autonomiser, respecter sans hiérarchie les différences de tactiques et de mentalités.

Le principe des GAA est la clef du modèle d’intégration. Dans les lignes directrices de l’action, les groupes d’affinité prennent leurs propres décisions sur les risques à encourir : comment répondre à la violence de la police ? Quelles tactiques employer pendant les blocages ? Quelles sortes de chants entonner ? Rester immobile ou bouger ? Calmes ou passionnés ? Debout ou assis ? Se servir de la technologie ou juste de ses corps ? Et quel message de base veulent-ils transmettre ? De cette manière, un large échantillon de personnes ont été capables d’agir avec force et ensemble en envoyant un message cohérent, qui malgré tout incluait des vérités multiples et complexes. Nous avons aussi gagné un maximum de flexibilité avec un minimum de relations centralisées du sommet à la base. Comme le disait Starhawk, écrivant sur ces manifestations contre l’OMC : « l’absence de direction centralisée et de chefs a pu coordonner la scène au milieu du chaos, et il n’y avait besoin de personne – l’organisation organique et autonome a prouvé beaucoup plus de pouvoir et d’efficacité. Aucune figure autoritaire n’aurait pu obliger les gens à tenir une ligne de blocage sous des grenades de gaz lacrymogènes – mais des personnes émancipées et libres de choisir leurs propres décisions l’ont fait. »

Pendant que quelques personnes ressentaient que les lignes directrices de l’action leur étaient imposées, d’autres les acceptaient volontiers comme un chemin émancipant une majorité de gens pour participer et se sentir en sécurité pendant la manifestation sans avoir à imputer tout ça à quelque philosophie particulière ou même à la définition de la nonviolence. En clair, le problème de la destruction de la propriété est récurrent avec un large échantillon d’opinions, mais A16 a montré qu’il était possible de travailler ensemble de manière solide et respectueuse. Sans doute, la question va continuer à être débattue et n’est pas complètement résolue, mais quelques étapes positives ont été franchies.

Prises de décisions

Bien sûr, le modèle peut-être perfectionné. C’est difficile de ne pas développer une hiérarchie informelle, particulièrement quand des gens ont travaillé et planifié une action depuis six mois, détiennent un paquet d’informations et jouent un rôle clef, pendant que les autres n’arrivent que la veille de la manifestation.

C’est dur pour un porte-parole de groupe d’affinité de représenter fidèlement son groupe s’il n’a pas eu l’opportunité d’y débattre des problèmes à l’avance, ce qui était fréquemment le cas. La plupart du temps, à cause du très grand nombre de participants aux conseils de GAA, nos comptes rendus d’assemblées étaient introuvables, donc beaucoup d’idées n’étaient pas formulées et le processus de prise de décision était loin d’être entièrement inclusif. Et si nous voulons devenir plus grands et qu’il y ait encore plus de gens qui participent à nos actions, nous devrons nous adapter à nouveau parce que ces réunions étaient déjà peu maniables avec 800 ou 1 000 personnes présentes.

Pendant les actions la confiance envers les responsables des communications, qui avaient souvent des radios ou téléphones portables et se procuraient les informations sur d’autres sites, était ressentie comme privative d’autonomie. C’est ainsi que quelques décisions annoncées par mégaphone, sans aucun groupe de décision apparent ont été suivies, bien que parfois le processus ait été respecté mais qu’il n’était pas très évident (et donc pas très ouvert) pour chacune des personnes présentes.

Tendre la main

Le relatif manque de participation des gens de couleur à ces actions est aussi un facteur qui indique clairement l’absence de réelle de capacité à inclure la diversité. Dans un article tranchant dans ColorLine [Lignes de couleur], Elizabeth Martinez écrit après les actions contre l’OMC que seul 5 % étaient des gens de couleur – citant le manque d’argent, la non familiarisation avec ces problèmes et la façon dont ils sont en rapport avec leur survie quotidienne aux États-Unis, l’absence d’accès à Internet, l’aliénation le plus souvent envers les jeunes anarchistes blancs qui dominent la culture souterraine sur les sites de la Convergence ; et l’hypothèse (exacte) que les organisateurs étaient en majorité des Anglos-blancs – comme facteurs entravant la participation des militants de couleur.

Alors que certains de ces problèmes étaient adressés au sein de l’organisation des actions du A16, incluant des portées spécifiques et des efforts de construction d’alliances, des actions éducatives autour de l’impact sur les politiques d’ajustement structurel contre la pauvreté aux États-Unis, il y a de toute évidence un long chemin à parcourir.

Viv Sharples est membre du Conseil d’administration de l’IRG et formatrice à la Nonviolence. ColorLines peut-être contacté via http://www.colorlines.com

Traduction: René Burget

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