Lettre d'une militante de la paix de Serbie

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(...) signale de petites suppressions.

Information à propos de l'ambiance ici

L'information est ici controlée par le commandement militaire, l'Etat-major: il y a une euphorie intense suite à la destruction de cet avion très sophistiqué, le F 117. Tout le monde dans les médias, dans la rue, dans les abris (...) salue cela. Nous pouvons nommer cela "homogénisation / unité patriotique / mentalité de victimisation / uniformité"...etc. Les slogans, les chants ou les ordres que nous pouvons entendre tout le temps tournent autour de ceci: " les forces de l'ennemi /de l'agresseur / du criminel peuvent causer des pertes humaines et des dommages matériels, mais ne peuvent détruire l'esprit / le moral de notre peuple qui aime par dessus tout, la liberté." Ceci peut être entendu deux à trois fois par jour sur Radio Belgrade-Channel II. Ceci est accompagné de poésie épique sur La Bataille du Kosovo (1398), d'hymnes au "Kosovo, terre sacrée", de chansons chantées par les partisans yougoslaves lors de la Deuxième Guerre Mondiale, ajoutant aux vieux mots de nouveaux couplets...Tout cela dans le but d'exacerber la fibre nationaliste, le patriotisme et évitant des mots ou des termes qui véhiculent des valeurs comme le calme ou la sensibilité.

Le concert d'aujourd'hui à la Place de la République

Ce concert était organisé par la mairie de Belgrade et principalement par le SPO (Le Mouvement du Renouveau Serbe de Vuk Draskovic). Nous n'avons pas essayé d'être présentes à cet événement d'une telle confusion, cependant les slogans sont plus qu'éloquents: " Belgrade veut se battre et gagner - Mieux vaut la guerre que des accords - l'Armée a ses propres raisons de combattre, nous combattons en chantant - Tous pour un, aucun ne nous vaincra - Ils ne pourront nous toucher - Pas un pas en arrière, jamais nous n'abandonnerons - Nous sacrifierons nos vies mais nous ne perdrons jamais le Kosovo - Si nous devons mourir, nous mourrons tous ensemble. Aucun mot sur l'engagement, sur la souffrance des gens en général, sans considérations d'appartenance ethnique; seulement quelques chanteurs qui demandent une minute de silence pour "nos victimes / nos pertes". Des chants patriotiques et d'autres chansons, des chants religieux, des drapeaux américains brûlés, des cris "Serbie, Serbie!" C'est étonnant de voir tant de gens dans la rue, mais tous plus que tristes d'entendre ce qu'ils sont en train de dire, d'entendre ces messages. On dit que ce genre de manifestation sera organisé chaque jour. Nous avons l'impression que c'est une manipulation. Au même moment un groupe de "roms" (Gitans) a manifesté sa loyauté envers l'Etat face à l'ambassade américaine et d'autres gens criaient "Nous donnons nos vies, mais jamais le Kosovo!", "Kosovo est la Serbie!" en exprimant de forts reproches et ressentiments à l'égard des Albanais du Kosovo. La logique des opprimés a été clairement adoptée même par les plus forts, c'est écoeurant.

A la télévision, c'est la cinquième fois qu'ils montrent ces jours-ci le film "La Bataille du Kosovo". Les programmes télévisés sont presque exclusivement de cet acabit.

Conversation avec nos amis au Kosovo-Pristina. J'ai essayé de les contacter plusieurs heures durant et j'ai finalement réussi. J'ai été chanceuse. J'ai entendu des descriptions horribles dont je vais essayer de vous faire part.

"Personne n'ose franchir la porte de sa maison. Hier, j'ai ouvert la porte cinq minutes et j'ai senti une peur terrible. Aucun de ceux qui veulent vivre n'ose sortir. Il n'y a presque plus de communication dans la ville, les téléphones sont presque tous hors d'usage. Il y a encore un peu de nourriture et je me demande: jusqu'à quand?"

"Tout près de ma maison, il y a eu une explosion. Du verre brisé partout. J'essaie de réparer ce que je peux. Je ne peux pas dormir. Une partie de ma famille est partie ailleurs. Je suis ici, je garde notre maison."

Prenant soin de son père, qui a une maladie du coeur (Elle est étudiante en médecine)." Je m'occupe de lui et je répare les vitres. Il me demande: Que disent les gens? Que pensent-ils qu'il arrivera? Je ne peux dire un mot. Ou alors, seulement des témoignages mutuels de consolation."

" Je sombre une fois de plus, comme des centaines de fois déjà dans ces guerres, dans cette hiérarchie guerrière: ce n'est rien ce que nous vivons ici comparé à ce que vous devez endurer là-bas."

"Des groupes d'hommes marchent dans les rues, des gens qui ont été libéré de prison, des groupes paramilitaires, qui sait...Ils pénètrent dans les maisons, poussent les gens dehors, kidnappent, massacrent...Il n'y a presque plus de nourriture: nous avons encore 50 kilos de farine (Famille nombreuse) . Puis, un homme dit avec résignation: "Ca m'est égal si ils viennent. Je ne peux rien faire."

Je note ce que disait quelqu'un ces jours-ci: "Dans le ciel, l'OTAN; sur le sol, Milosevic".

Que puis-je dire maintenant quand des gens comme vous et moi participent au concert d'aujourd'hui? (Comme ces deux chanteurs, Rambo et Bajaga qui, ces années passées parlèrent toujours de paix; l'un d'eux, Rambo, participait même au concert "Pour Sarajevo", que nous avions organisé en avril 1992).

Encore des témoignages de Pristina: "Nous manquons de tranquillisants, je n'ai plus de médicaments pour mon coeur. Que va-t-il m'arriver? Elle, qui m'a toujours remonter le moral, encourager et fait espérer, maintenant sa voix est brisée, elle me remercie seulement d'avoir appelé, à deux doigts de s'effondrer en larmes.

" C'est une zone sinistrée. Aucune aide, nulle part. Les criminels peuvent faire ce qu'ils veulent maintenant, ça leur est permis." (...)

"Maintenant, je vois que ce type d'expériences est impossible à transmettre. J'ai vu tant de gens déplacés, de réfugiés, ici. J'ai toujours pensé que je les comprenais, je vois maintenant comme ils sont loin. Pourquoi ne suis-je pas partie? Pourquoi ai-je attendu jusqu'au dernier moment? Où puis-je aller maintenant? Je sais que je ne peux aller nulle part, mais j'ai fait un sac. J'ai un peu de nourriture, je ne peux rien avaler C'est peut-être la dernière nuit à la maison..."

Demandant des nouvelles de tout le monde à Belgrade, elle, qui a dépassé les barrières ethniques, dit aussi ceci:

"A l'intérieur des immeubles, à l'intérieur des maisons individuelles, les voisins, Serbes et Albanais, parlent; ils sont d'accord: Si la police vient, nous nous défendrons (disent les Serbes qui restent) et si l'UCK vient nous nous défendrons ( disent les Albanais). La peur et la terreur les a rassemblé. "

Je ne peux exprimer ce que j'ai ressenti mais je sais que pour moi, pour nous, cela a une grande valeur. Nous sommes un si petit groupe. Encore l'alarme. Nous restons sur Radio "Free Europe". A Pristina, il n'y a plus d'électricité depuis la nuit dernière.

Les soutiens et réseaux alternatifs nous ont donné les informations suivantes:

Vrnjacka banja et Central Kraljevoparte Les gens redoutent d'être mobilisés. Nombreux sont les gens déjà conscrits. Des cercueils de réservistes morts au Kosovo commencent à arriver.

Sandzak ( Sud-Ouest de la Serbie, inhabité par les musulmans) Les gens s'en vont, tous veulent partir. Ceux d'entre-nous qui restent, sont nerveux, terrifiés. La police a réquisitionné tous les camions et autres larges véhicules privés, mais les gens sont plus effrayés par les paramilitaires. A Radio Free Europe, ils ont juste dit que le nombre de personnes assassinées et exécutées au Kosovo, par la police et les militaires mais aussi par les paramilitaires, s'élève à Pristina à 200, mais les chiffres sont réellement inconnus, le nombre des réfugiés ne cessent d'augmenter, un demi million maintenant. Monténégro L'atmosphère politique est complètement différente: vous pouvez constater cela en lisant les journaux (j'ai eu la chance d'en lire un aujourd'hui), leur contenu est totalement différent (comme on le sait, le Monténégro n'a pas déclaré l'état de guerre). Cependant , il y a un nombre conséquent de signes annonciateurs de l'imminence d'un conflit interne. Aujourd'hui, des militants du parti radical de Serbie ont organisé des actions contre "Les Occidentaux" à Podgorica, qui ont touché profondément la population. Aujourd'hui, 3 000 réfugiés du Kosovo sont arrivés au Monténégro. Dragan Soc, ministre de la Justice du Monténégro, a rejeté les appels obligeant aux mobilisations et il a ajouté, "chaque personne doit décider quoi faire en fonction de sa propre conscience".

Les choses vont de pire en pire, la phase II a commencé. Aucun commentaire. Vous avez plus d'informations que nous, mais nous savons que ce complot des militaristes locaux et globaux limite notre espace politique et bientôt il n'y aura plus de champ politique du tout (comment pourrons-nous attaquer la militarisation globale sans pouvoir viser le militarisme local, comment pourrons-nous dénoncer les bombardements sans dénoncer les massacres, la répression, l'horreur vécus par les gens au Kosovo et cette intervention de l'OTAN qui n'a fait qu'aggraver la situation, parce que maintenant, je le répète, nous avons " l'OTAN dans le ciel et Milosevic sur terre".

(...)Votre soutien nous donnera des forces, ce qui est beaucoup pour nous.

Je vous envoie un chaleureux salut d'amitié et de tendresse. Votre soeur.

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