Interdiction des trans aux USA : quelles lecons ?

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A poster saying "Trans liberation, not more US invasion" and "No pride in war"
Une affiche de Micah Bazant. Source : Site de la War Resister League
Author(s)
Omar Zahzah et Tory Smith

Le genre binaire, la suprématie blanche, l'hétéronormativité et l'hétéropatriarchie sont les conséquences inévitables du capitalisme et de la colonisation. Eu égard à cela, il est erroné de considérer l'inclusion dans l'armée comme un résultat de ce que nos mouvements peuvent réaliser. Malgré cela, l'État tentera souvent de masquer son rôle régalien dans la perpétuation de l'oppression en adoptant le langage des mouvements de résistance. Notre rôle d'organisations résolument axés sur la libération doit être de reconnaître cette cooptation comme rien de moins qu'une stratégie éhontée de pouvoir. Aussi longtemps que les élites pourront fragmenter nos efforts d'organisations en nous faisant détourner nos énergies radicales vers la libéralisation des appareils de tueries de l'État, notre capacité à instaurer un ordre social juste sera à jamais compromise.

Dans le contexte américain, nous avons vu les militaires essayer de refaire notre propre histoire à maintes reprises. En 1948, l'armée américaine a intégré des femmes et des afro-américains dans les forces permanentes. À l'époque, il y avait une importante objection à plus d’intégration au sein de l'armée, mais comme les mouvements des droits civiques et féministes ont remporté de grandes victoires dans le reste du pays, le Pentagone a commencé à célébrer cette première page de l’histoire, en prenant à son compte le résultat des luttes acharnées du mouvement populaire. Plus récemment en 2010, avec l'abrogation de « Don't Ask, Don't Tell », politique de l'armée américaine visant à interdire le service des personnes gays, lesbiennes et bisexuels, l'armée américaine a de nouveau essayé de se présenter comme une institution progressiste, dépeignant l'intégration des soldats gays, lesbiennes et bisexuels comme une victoire pour le mouvement des droits des homosexuels et que l'appartenance à l'armée pourrait être utilisée comme une force pour le bien social. De nombreuses organisations américaines qui luttent pour la libération des LGBTQ (lesbiennes, gay, bisexuels, transgenres et queer) ont célébré cette victoire comme une étape importante dans un mouvement lancé par des personnes queer et trans, dans un bar gay appelé Stonewall aux États-Unis, qui s'opposait à la brutalité policière envers leur communauté. Puis, en 2016, l'administration Obama a autorisé ouvertement les transgenres américains à être des soldats. Mais alors que le fascisme croissant aux États-Unis entraînait Trump au pouvoir, les transphobes de droite ont poussé à un renversement de cette politique. En juillet 2017, Trump a tweeté qu'il prévoyait frapper d'interdiction les soldats transgenres de l'armée américaine, suivi peu après d'une politique mettant ce projet en vigueur. Mais, de tous les effets tangibles que ces reculs et restrictions auraient sur les soldats transgenres, nous reconnaissons que la campagne entourant cette dernière forme de discrimination fonctionne en fin de compte dans l'intérêt d'une armée essayant de se présenter comme une force pour le bien social en dépit d’elle-même. Les forces de répression de l'État, les militaires, les prisons, la police, le contrôle des frontières ont besoin de se présenter comme indispensables à tout avenir que nous essayerions de construire, alors qu'en tant qu'organisations antimilitaristes, nous savons que la vérité est exactement le contraire.

Car même dans des endroits où les militaires pourraient se targuer d'une composition plus « diversifiée », ceux-ci sont armés contre les régions et les populations les plus « sauvages » du monde, fournissant une couverture pour bombarder, occuper et opprimer tous ceux que l'Europe considère comme en arrière, misogyne, et dans leur essence transphobe et résistant à entrer dans le « monde moderne » tel que l'Occident le voit. La réalité est que les campagnes coloniales militaires à travers l'histoire ont utilisé la prétendue « protection » des couches vulnérables de la population comme justification de leurs crimes, souvent tout en continuant à priver ces mêmes populations de leurs « droits » chez eux. Par exemple, Lila Abu-Lughod, souligne que les projets coloniaux britanniques du XIXe siècle en Asie du Sud-Ouest et en Afrique du Nord (SWANA) étaient justifiés par la logique de « sauver » les femmes asiatiques par ces mêmes hommes puissants, qui chez eux s'opposaient aux mouvements de suffrage des femmes. Beth Richie et Chandra Talpade Mohanty affirment toutes deux que tant que les efforts féministes viseront à soutenir un complexe industriel militaire et carcéral plus intégrant, ils seront en fait en train de saboter la libération ultime vers laquelle tous les mouvements de liberté doivent tendre. Jasbir Puar a expliqué comment les militaires peuvent se servir du langage de la libération queer pour renforcer leur propre capacité à viser et tuer les derniers ennemis de l'État : des « terroristes » rétrogrades qui ne partagent pas « nos » valeurs libérales/progressistes. L'armée et l'État ne se soucient de la « justice » mondiale que dans la mesure où elle peut être manipulée afin de soutenir ses propres gains matériels, son pouvoir et sa suprématie sur le reste du monde.

En tant qu'organisations trans et queers luttant contre le militarisme aux États-Unis, le défi de savoir comment faire face à l'interdiction des trans est profond. Nous ne pouvons pas soutenir la discrimination et le fanatisme contre nos frères et sœurs trans, mais tant que nous appuyons ou cherchons la "perfection" de l'armée, nous soutenons en fait cette injustice. En termes simples, travailler dans l'intérêt d'une institution qui existe pour piller, terroriser et tuer des milliers de personnes, quel que soit leur sexe et/ou leur identité sexuelle, revient automatiquement à soutenir toutes les formes de discrimination par le biais de la plupart des hautes technologies de violence et de dépouillement. Les droits des trans ne commencent ni ne se terminent à l'intérieur des frontières américaines. Les personnes trans se trouvent aussi bien aux États-Unis qu'en Palestine occupée et colonisée, en Afghanistan, en Irak, en Colombie, en Haïti, au Tchad et aux Philippines, et ils luttent tous contre le complexe militaro-industriel dont le renversement est une partie inextricable de la véritable vision de libération trans dans un contexte mondial. Les personnes trans font partie des communautés plus larges dans lesquelles elles vivent, et partout où le militarisme et le pouvoir de l'État se dressent, les personnes trans sont opposées au complexe militaro-industriel ensemble avec tous les autres qui sont considérés comme sans valeur par les personnes au pouvoir. Pour ces raisons, nous devons nous méfier des allégations selon lesquelles les campagnes militaires peuvent être des sources de libération trans - même lorsque de telles allégations sont faites au nom de personnes trans de pays militairement ciblés. Aucune superpuissance militaire n'agit dans l'intérêt véritable de l'humanité, ils travaillent pour leur propre profit, aux dépens directs de tous ceux qui sont sous leur domination. Il n’existe aucune bombe qui par magie ne tue pas les personnes trans, tout comme il est impossible de bombarder quiconque au nom de sa propre libération.

Plutôt que de consacrer notre énergie organisationnelle à appeler les forces armées à devenir (ou à rester) plus « inclusives », nous devons nous opposer aux forces armées en tant que force disciplinaire la plus exclusive du monde, qui travaille à soutenir les régimes les plus répressifs et réactionnaires du monde entier, ainsi que toutes les formes d'oppression tant qu'elles soutiennent la suprématie de l'État. Les ressources de nos mouvements pour la libération trans méritent d'être affectées à la libération des membres les plus ciblés de notre communauté. La libération trans ne viendra véritablement qu'avec l'abolition du complexe militaro-industriel et de toutes les barrières et puissance de feu qui l’accompagnent. Nous sommes ici pour avoir des rêves audacieux de libération, même dans les espaces les plus privés. Toutefois, nous devons reconnaître que les résultats que nous avons dans l'accès aux institutions qui oppriment tant de nos frères et sœurs sont préjudiciables à nos mouvements. En tant qu'organisations antimilitaristes du monde entier, nous devons être très prudents avec les militaires qui essaient de coopter les mouvements de libération et de placer l'inclusion dans les rangs comme quelque chose auquel aspirer. Il ne peut y avoir de libération trans sans abolition militaire.

Information sur l'auteur

Omar Zahzah est un écrivain, activiste palestinien et candidat au doctorat en littérature comparée à l'UCLA. Omar est membre de « Students for Justice in Palestine (SJP) » depuis 2012 et est actuellement membre de « Graduate Students for Justice in Palestine (GSJP) » de l'UCLA et du Mouvement de la jeunesse palestinienne (PYM).

Tory Smith est un organisateur et chercheur non binaire ayant grandi dans la région de DC. Militant étudiant pendant la période précédant les guerres en Irak et en Afghanistan, Tory a fait partie du mouvement étudiant contre la guerre à partir de 2003. Tory est maintenant le militant national de la War Resisters League et organise à Philadelphie avec Up Against the Law Legal Collective.

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Omar Zahzah est un écrivain, activiste palestinien et candidat au doctorat en littérature comparée à l'UCLA. Omar est membre de « Students for Justice in Palestine (SJP) » depuis 2012 et est actuellement membre de « Graduate Students for Justice in Palestine (GSJP) » de l'UCLA et du Mouvement de la jeunesse palestinienne (PYM).

Tory Smith est un organisateur et chercheur non binaire ayant grandi dans la région de DC. Militant étudiant pendant la période précédant les guerres en Irak et en Afghanistan, Tory a fait partie du mouvement étudiant contre la guerre à partir de 2003. Tory est maintenant le militant national de la War Resisters League et organise à Philadelphie avec Up Against the Law Legal Collective.

Omar Zahzah est un écrivain, activiste palestinien et candidat au doctorat en littérature comparée à l'UCLA. Omar est membre de « Students for Justice in Palestine (SJP) » depuis 2012 et est actuellement membre de « Graduate Students for Justice in Palestine (GSJP) » de l'UCLA et du Mouvement de la jeunesse palestinienne (PYM).

Tory Smith est un organisateur et chercheur non binaire ayant grandi dans la région de DC. Militant étudiant pendant la période précédant les guerres en Irak et en Afghanistan, Tory a fait partie du mouvement étudiant contre la guerre à partir de 2003. Tory est maintenant le militant national de la War Resisters League et organise à Philadelphie avec Up Against the Law Legal Collective.

Omar Zahzah est un écrivain, activiste palestinien et candidat au doctorat en littérature comparée à l'UCLA. Omar est membre de « Students for Justice in Palestine (SJP) » depuis 2012 et est actuellement membre de « Graduate Students for Justice in Palestine (GSJP) » de l'UCLA et du Mouvement de la jeunesse palestinienne (PYM).

Tory Smith est un organisateur et chercheur non binaire ayant grandi dans la région de DC. Militant étudiant pendant la période précédant les guerres en Irak et en Afghanistan, Tory a fait partie du mouvement étudiant contre la guerre à partir de 2003. Tory est maintenant le militant national de la War Resisters League et organise à Philadelphie avec Up Against the Law Legal Collective.