Réflexions sur le soutien aux « prisonniers de paix »

Author(s)
Paul Magno

Paul Magno

États-Unis, juillet 2012, trois activistes en faveur du désarmement : Greg Boertje-Obed, Megan Rice et Michael Walli, participent à une action pacifique directe, baptisée « Transform Now Ploughshares », au Y12 National Security Complex à Oak Ridge au Tennessee. Bien que datant des débuts du projet Manhattan, pendant la Seconde Guerre mondiale, Oak Ridge demeure un maillon essentiel de la capacité de production d’armes nucléaires des États-Unis. Lors de cette opération, les trois activistes traversent le terrain de la réserve fédérale pendant la nuit, franchissent quatre barrières de sécurité et bravent le HEUMF (Highly Enriched Uranium Maintenance Facility), un dépôt de 400 tonnes d’uranium enrichi en quantité suffisante pour la fabrication de 10 000 armes nucléaires. Une fois sur place, ils délimitent le secteur avec du ruban de scène de crime, déploient des bannières aux messages pacifistes et barbouillent les murs du bâtiment avec du sang humain et des messages de paix extraits de la Bible.

Mis en état d’arrestation, ils sont accusés de méfait et de sabotage, deux infractions criminelles majeures et, en mai 2013, ils comparaissent devant un tribunal fédéral. Ils sont tous les trois déclarés coupables sur les deux chefs d’accusation et condamnés à des peines de prison variant entre trois ans pour Megan Rice (une religieuse catholique de 80 ans) et cinq ans pour chacun des deux hommes. Ils portent le verdict en appel en vertu du Sabotage Act et gagnent cet appel en mai 2015, entraînant ainsi leur libération immédiate. Depuis les débuts du mouvement Ploughshares aux États-Unis, il y a 35 ans, il s’agissait d’une première victoire en appel.

Michael Walli, Sr. Megan Rice and Greg Boertje-Obed.
Michael Walli, Sr. Megan Rice and Greg Boertje-Obed.

Plusieurs d’entre nous ont joué un rôle clé dans le soutien apporté à Transform Now Ploughshares lors de ces événements et au cours des années qui ont suivi. Cet article aborde principalement la question de ce soutien, ses implications et les leçons que l’on doit en tirer pour l’avenir de notre mouvement. En effet, il est d’une importance capitale pour plusieurs d’entre nous aux États-Unis, de se questionner sur l’état de notre cause, sur les diverses façons de conserver l’intérêt du public envers nos préoccupations et finalement, sur notre capacité à surmonter les défis à l’aube des années Trump.

Lorsque l’événement de 2012 a été connu, plusieurs d’entre nous se sont alors engagés à soutenir de façon significative Transform Now Ploughshares. Il s’agissait d’abord de coordonner l’action locale des militants de longue date avec celle de réseaux élargis tant sur le plan national qu’international et ce, dans le but de faire face aux défis posés par leur arrestation et leur procès. Au niveau local, notre partenaire principal a été l’Alliance pour la paix environnementale d’Oak Ridge (Oak Ridge Environmental Peace Alliance), qui a travaillé pendant des décennies afin d’exposer les travaux du complexe nucléaire Y12. L’Alliance a contribué de façon significative grâce à sa connaissance du dossier et à ses ressources locales. Par la suite, nous avons échangé avec notre réseau américain grâce à plus de trois décennies d’actions similaires à celles de Ploughshares. Enfin, nous avons étendu nos contacts à d’autres groupes pacifistes ou progressistes. Nous avons également eu la chance d’obtenir une excellente couverture de la part des médias, ceux-ci jugeant cette opération comme très audacieuse (Y12 était alors considéré comme l’installation nucléaire la plus sécuritaire dans le monde, parfois même appelée « le Fort Knox de l’uranium » dans la littérature officielle). La présence de Megan Rice, une religieuse de 82 ans a également frappé l’imaginaire et attiré l’attention des médias nationaux et internationaux, celle-ci apparaissant à la une du New York Times dès le début de l’événement.

Afin d’agir concrètement, nous en sommes venus à la conclusion qu’il nous fallait atteindre plusieurs objectifs :

  • Développer un soutien local fort, constitué de personnes disposées à loger et nourrir des militants de l’extérieur. Elles devaient également être prêtes à se présenter à des événements publics et être disponibles pour visiter et communiquer occasionnellement avec les trois activistes emprisonnés.

  • Rejoindre et mobiliser les réseaux nationaux et internationaux de militants pacifistes par téléphone ou par des moyens électroniques.

  • Se préparer sur le plan légal, en recrutant des ressources juridiques compétentes. En effet, dans le but de mieux respecter le message fondamental soulignant que le maintien de la menace nucléaire par l’establishment américain est immoral et illégal et que la résistance non violente est nécessaire et légalement requise, ceux-ci préféraient se représenter eux-mêmes devant les tribunaux. Cette préparation juridique comprenait la recherche des ressources juridiques adéquates et de témoins experts pouvant ainsi permettre une représentation solide de cette ligne de défense au procès.

Recueillir les fonds nécessaires pour répondre à cet éventail de besoins, surtout en ce qui concerne l’aspect juridique constituait également un objectif majeur.

Nous nous sommes appuyés en grande partie sur des relations historiques et des engagements que nous considérions comme fiables. La non-violence et le sentiment d’appartenance constituaient des ressources sur lesquelles nous pouvions compter, non pas simplement comme philosophie, mais comme une expérience réelle vécue à long terme. Naissant initialement au sein des trois activistes et de leur réseau local, ce mouvement de soutien est néanmoins devenu un effort communautaire et une option participative pour un cercle croissant de personnes pour finalement se répercuter mondialement. Ultimement, l’action et le mouvement Ploughshares ont été honorés par le « Nuclear-Free Future Award » (principalement basé en Europe) et par une tournée de conférences de trois semaines donnée par Sœur Megan dans six pays et huit villes, en janvier 2016.

La croissance interne et décentralisée de ce mouvement mondial repose davantage sur certaines pratiques élémentaires, souvent négligées ou considérées comme moins importantes, que sur une idéologie ou une stratégie soutenue. Ainsi, la confiance mutuelle et le respect ont joué un rôle majeur et ont permis la dispersion à travers les réseaux que j’ai décrits. Le noyau central de militants s’est concentré sur les communications et sur la diffusion de l’information en provenance de Knoxville, Tennessee, lieu du procès et cœur de l’effort de soutien. De là, nous avons dû compter sur le réseau élargi dans le but de diffuser ces informations. Il s’agissait notamment de lancer une pétition, d’encourager l’envoi de lettres au tribunal, ainsi que de faire connaître les dates et heures des audiences et ce que l’on attendait des participants. En réponse, des dizaines de contacts et de groupes localisés aux États-Unis ont relayé ces informations et des centaines de personnes venant de tout le pays se sont rendues à Knoxville afin de soutenir et grossir le noyau de militants locaux. Pendant le procès et lors des audiences subséquentes, nous n’avions pas une, mais deux salles d’audience remplies la plupart du temps de partisans (dont une par vidéo en circuit fermé).

C’est en partie grâce à cette approche organique et collaborative que nous avons pu obtenir une couverture médiatique beaucoup plus importante que celle accordée habituellement aux actions Ploughshares menées par le passé. La publication d’un article de fond dans le Washington Post juste avant le procès était sans précédent quant à la couverture offerte au mouvement pacifiste. Des articles ont également été publiés dans la presse étrangère à l’échelle internationale, tel que dans le grand quotidien allemand Der Spiegel. Ainsi, Sœur Megan Rice apprit sa libération imminente en mai 2015, par l’entremise de la diffusion américaine de la BBC (British Broadcasting Corporation) à 3 heures le samedi matin, suite à une ordonnance de la cour d’appel qui n’avait été délivrée qu’en fin de journée la veille et pas encore communiquée à sa prison.

Le mouvement pacifiste et son enracinement profond dans la communauté ont été essentiels au succès de cette action. Nous avons fait confiance à cette communauté composée de gens de tous âges, d’expériences et de perspectives diverses. Tous ont été les bienvenus et ont été utilisés selon leurs compétences. Se prévaloir de ces ressources nous a permis de courber l’arc de l’univers un peu plus vers la justice, la non-violence et le désarmement.

Paul Magno est un ancien prisonnier Plowshares impliqué dans le mouvement ouvrier catholique et basé à Washington DC. Il a fait partie du noyau de base de Transform Now Ploughshares pendant plus de quatre ans.

Traducteur: Maude Boudreault

Information sur l'auteur

Paul Magno is a Washington DC based participant in the Catholic Worker movement and a past Plowshares prisoner. He was part of the core support group for the Transform Now Plowshares over more than four years.

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