Rapport à l’intention de la 115e session du Comité des droits de l’homme: RÉPUBLIQUE DE CORÉE

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MOUVEMENT INTERNATIONAL DE LA RÉCONCILIATION

(IFOR)

Rapport à l’intention de la 115e session du Comité des droits de l’homme

RÉPUBLIQUE DE CORÉE

(Service militaire, objection de conscience et questions connexes)

Mise à jour : Septembre 2015

Contact :

Derek Brett

Mouvement international de la réconciliation

Représentant auprès de l’ONU, Genève

derek.brett@ifor.org

Tel : (41) 77 462 9825

Informations générales – La République de Corée et le Comité des droits de l’homme

Dans les Observations finales faisant suite à l’examen du Troisième rapport périodique de la République de Corée au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Comité des droits de l’homme se dit « préoccupé par le fait: a) que, conformément à la loi sur le service militaire de 2003, la peine encourue en cas de refus d’effectuer le service militaire actif est un emprisonnement d’une durée pouvant aller jusqu’à trois ans et qu’il n’existe pas de limite législative au nombre de fois que ces personnes peuvent être appelées et soumises à de nouvelles sanctions; b) que les personnes qui n’ont pas effectué leur service militaire ne peuvent occuper des emplois dans l’administration ou les organismes publics et c) que les objecteurs de conscience condamnés sont stigmatisés du fait de leur casier judiciaire (art. 18) ». Il formule la recommandation suivante : « L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour reconnaître le droit des objecteurs de conscience d’être exemptés du service militaire. Il est encouragé à aligner sa législation sur l’article 18 du Pacte. Le Comité appelle, à cet égard, son attention sur le paragraphe 11 de son observation générale no 22 (1993) relative à l’article 18 (liberté de pensée, de conscience et de religion). »1Au cours de la même session (la 88ème), le Comité a rédigé ses « Constatations » concernant les premières communications qui lui sont parvenues d’objecteurs de République de Corée, au titre du Protocole facultatif au PIDCP, et a déclaré que les cas de Yeo-Bum Yoon et de Myung-Jin Choi représentaient une violation de l’article 18 du Pacte (liberté de pensée, de conscience et de religion).

Dans ses Constatations, le Comité

« fait observer que, si le droit de manifester sa religion ou sa conviction en tant que tel ne peut s’interpréter comme donnant le droit de refuser de s’acquitter de toutes les obligations imposées par la loi, il offre, conformément au paragraphe 3 de l’article 18, une protection contre l’obligation d’agir à l’encontre d’une conviction religieuse sincère. Le Comité rappelle également le point de vue général qu’il a exprimé dans son Observation générale n° 22, selon lequel le fait d’obliger une personne à employer la force au prix de vies humaines, alors que cet emploi de la force serait gravement en conflit avec sa conscience ou ses convictions religieuses, relève de l’article 18. Le Comité note, en l’espèce, que le refus des auteurs d’être enrôlés aux fins du service obligatoire constituait une expression directe de leurs convictions religieuses, dont il n’est pas contesté qu’elles étaient professées sincèrement. En conséquence, la condamnation et la peine infligées aux auteurs constituent une restriction de leur capacité de manifester leur religion ou leur conviction. Une telle restriction doit être justifiée par les limitations autorisées qui sont énoncées au paragraphe 3 de l’article 18, en vertu duquel toute restriction doit être prévue par la loi et être nécessaire à la protection de la sécurité, de l’ordre, de la santé ou de la moralité publics ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. Toutefois, une telle restriction ne doit pas porter atteinte à l’essence même du droit en question. »2

Le Comité a noté « que la législation de l’État partie ne prévoit pas de procédure qui permette de reconnaître l’objection de conscience au service militaire.» Il a pris note de l’argument de l’Etat partie selon lequel « cette restriction est nécessaire pour assurer la sécurité publique et vise à préserver ses capacités de défense nationales et sa cohésion sociale. » Toutefois, le Comité fait observer aussi « qu’un nombre croissant d’États parties au Pacte, qui maintiennent le service militaire obligatoire, ont mis en place un dispositif de substitution à ce service et considère que l’État partie n’a pas montré quels désavantages particuliers découleraient pour lui du plein respect des droits que l’article 18 reconnaît aux auteurs. En ce qui concerne la question de la cohésion et de l’équité, le Comité estime que le respect par l’État partie des convictions de conscience et de leur manifestation est en lui-même un facteur important pour assurer la cohésion et un pluralisme stable dans la société. Il relève aussi qu’il est possible en principe, et courant dans la pratique, de concevoir des mesures de substitution au service militaire obligatoire qui ne portent pas atteinte au principe de la conscription universelle, tout en étant utiles à la société et en imposant des obligations équivalentes aux individus, ce qui permet d’éviter les inégalités arbitraires entre ceux qui accomplissent le service militaire obligatoire et ceux qui effectuent un service de remplacement. » Et il conclut « que l’État partie n’a pas apporté la preuve qu’en l’espèce la restriction en question était nécessaire au sens du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. »3

Deux « opinions dissidentes » sont annexées au document. Celle de M. Hipólito Solari-Yrigoyen, dans la pratique adoptée depuis lors, aurait plutôt été classée comme opinion individuelle concordante. Il souscrit « à la décision de la majorité exprimée au paragraphe 9, qui conclut que les faits dont le Comité est saisi font apparaître des violations du paragraphe 1 de l’article 18. » Mais il est d’avis que les auteurs de la Constatation ne sont pas assez fermes sur le fait que « l’objection de conscience est le droit fondamental reconnu à toute personne de ne pas faire son service militaire, lorsque celui-ci est obligatoire, si sa religion ou ses convictions ne le permettent pas, droit auquel il ne peut pas être porté atteinte par des mesures coercitives, et sachant que l’État partie ne reconnaît pas ce droit, la communication doit être examinée au regard du paragraphe 1 de l’article 18 » (c’est à dire indépendamment du par. 3).

Mme Ruth Wedgwood, partage l’avis du Comité « qu’un État partie soucieux d’appliquer les principes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans un esprit généreux doit respecter les revendications des individus qui objectent au service militaire pour des motifs de conviction religieuse ou d’autres motifs de conscience cohérents. » Elle fait observer que « le caractère sacré des convictions religieuses, y compris des préceptes concernant l’obligation de non-violence, est une chose qu’un État démocratique et libéral devrait avoir à cœur de protéger ». Mais elle se dit « au regret de ne pas pouvoir conclure que le droit de ne pas accomplir un service militaire obligatoire est strictement inclus, en tant que droit, dans les termes du Pacte ».

On notera que la position de Mme Wedgwood a ensuite évolué. Lorsque le Comité examina une série de Communications provenant d’objecteurs de conscience de la République de Corée, elle se joignit à une conclusion unanime sur une violation où le Comité ne fit que réitérer les arguments qu’il avait avancés dans l’affaire Yoon et Choi, estimant qu’il « ne voit pas de raison de s’écarter de la position qu’il a déjà exprimée. »4 Il «note que le refus des auteurs d’être enrôlés aux fins du service obligatoire constituait une expression directe de leurs convictions religieuses , incontestablement sincères. Il s’ensuit que leur déclaration de culpabilité et leur condamnation constituent une atteinte à leur liberté de conviction et une restriction de leur capacité de manifester leur religion ou leur conviction. »5  Il est significatif que cette conclusion émane d’un groupe de Communications dont les auteurs étaient un catholique, un bouddhiste et neuf autres personnes ne se réclamant d’aucune religion. Yoon et Choi avaient tous deux objecté en tant que Témoins de Jéhovah, dont on connaît la doctrine en la matière.

La série suivante de communications, Min-Kyu Yeong et consorts c. République de Corée,6concernait cent autres objecteurs de conscience, tous Témoins de Jéhovah, et a été examiné par le Comité une année plus tard. Dans ce cas, le Comité a déclaré que « le droit à l’objection de conscience au service militaire est inhérent au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion » et que « l’exercice de ce droit ne doit pas être entravé par des mesures coercitives ». Ce faisant, il adhère à l’opinion de l’avis minoritaire de M. Solari-Yrigoyen dans l’affaire Yoon et Choi. Quatre membres ont signé des opinions individuelles concordantes, préférant dans ce cas suivre le raisonnement de la majorité.

Comme dans le cas de Yoon et Choi, le Comité a conclu, en ce qui concerne Jung et consorts que « l’État partie est tenu de fournir aux auteurs un recours utile, y compris sous la forme d’une réparation. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. »7 Dans le cas de Yeong et consorts, la conclusion équivalente est plus détaillée : « l’État partie est tenu de garantir que les auteurs disposent d’un recours utile, notamment en vue de l’expurgation de leurs casiers judiciaires et de l’obtention d’une indemnisation adéquate. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas, ce qui passe notamment par l’adoption de mesures législatives garantissant le droit à l’objection de conscience. »8

En octobre 2012, le Comité a examiné une communication présentée au nom de 388 autres Témoins de Jéhovah objecteurs de conscience, et a réitéré ses conclusions antérieures.9 Les quatre mêmes membres ont signé des opinions individuelles concordantes en faveur d’une décision fondée sur Yoon et Choi – une autre opinion individuelle concordante a contesté cette position.

En octobre 2014, au cours de sa 112ème session, le Comité a conclu à une violation dans le cas d’une autre communication au titre du Protocole facultatif, émanant d’objecteurs de conscience coréens.10

Dans son Quatrième rapport périodique, la République de Corée se réfère à l’observation finale précédente, mais pas à la jurisprudence du Comité relative aux cas individuels. Il réitère les arguments concernant la sécurité nationale invoqués dans son Troisième rapport périodique et les commentaires de l’Etat partie sur les différents cas au titre du Protocol facultatif. Il signale qu’une décision du Ministère de la défense suite à son examen de la possibilité d’instituer un service civil de remplacement pour les objecteurs de conscience a été « repoussée » après un sondage d’opinion effectué en décembre 2008, indiquant que cette proposition jouissait de peu de soutien dans la population. Le rapport mentionne aussi des arrêts de 2004 de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême et fournit des statistiques utiles au sujet des poursuites judiciaires et de l’emprisonnement d’objecteurs de conscience ayant refusé le service militaire au cours des années 2005 à 2008. Il ne signale aucune évolution pour 2011 ou les années suivantes, ce qui donne à penser que ce chapitre a probablement été rédigé bien avant l’envoi du rapport.11

Dans la liste des points à traiter, le Comité demande : « Au sujet de la recommandation précédente du Comité … veuillez indiquer les progrès réalisés concernant l’institution d’un service civil de remplacement pour les objecteurs de conscience. Veuillez aussi indiquer où en est la proposition de législation visant à publier sur l’Internet les noms des personnes qui refusent de servir dans les forces armées.12

Les réponses de l’Etat partie ont le mérite d’être franches :

« La position du gouvernement en ce qui concerne l’institution d’un service de remplacement pour les objecteurs de conscience demeure inchangée, comme l’indique le rapport de l’Etat. En novembre 2014, après l’envoi du rapport, l’Administration du personnel militaire a mené une enquête au niveau national, qui a révélé que 58,3% de la population sont opposés à l’introduction d’un service de remplacement. Il est encore difficile d’envisager l’introduction d’un service de remplacement dans la situation d’insécurité dans laquelle se trouve le pays.

L’article 81-2 a été ajouté à la Loi sur le service militaire en juillet 2015 ; il permet au Commissaire de l’Administration du personnel militaire de publier sur son site internet les données personnelles des personnes qui se soustraient au service militaire sans justification, hormis les cas de maladie ou d’emprisonnement, en résidant à l’étranger, ou refusant l’examen d’aptitudes physiques ou l’enrôlement, et les éléments relatifs au refus de remplir leurs obligations. A cet effet, un Comité des délibérations sur les cas d’insoumission est créé dans les bureaux régionaux du personnel militaire. Le Comité signale aux personnes en cause que leurs données personnelles seront divulguées, leur donne l’occasion de s’expliquer, délibère six mois après le préavis, compte tenu de la situation de leurs états de service, et décide quelles personnes verront leurs informations publiées. »13

Quelques brèves remarques pour compléter les informations plus détaillées qui suivent : On a l’impression générale que le sentiment populaire, en République de Corée (et partiellement grâce aux efforts d’organisations internationales des droits de l’homme et religieuses) est en train de devenir moins hostile aux objecteurs de conscience. Certains sondages récents, usant peut-être de questions formulées un peu différemment, ont révélé pour la première fois une majorité en faveur de la création d’un service civil de remplacement. Par ailleurs, l’hypothèse sous-jacente selon laquelle l’application des obligations en matière de droits de l’homme devrait faire l’objet d’un plébiscite est naturellement fausse et dangereuse. La description honnête du nouveau paragraphe de la Loi sur le service militaire ne laisse planer aucun doute sur ce qu’il implique pour le droit au respect de la sphère privée.

Le service militaire en République de Corée

Le service militaire est obligatoire pour tous les citoyens coréens de sexe masculin. En septembre 2007, le Ministère de la défense a annoncé un plan visant à réduire graduellement la durée du service dans l’armée, qui devait passer de 24 à 18 mois. (Dans d’autres branches des forces armées, les conscrits servent de deux à trois mois de plus.) Toutefois, suite à l’escalade des tensions dans la région en novembre 2010, on a brièvement envisagé de revenir à 24 mois, puis il a été décidé de « geler » la durée de service au niveau actuel de 24 mois.14

Il n’existe pas de dispositions relatives à l’objection de conscience au service militaire. La seule raison spécifiée dans la loi sur le service militaire pour lesquelles une personne peut être dispensée du service obligatoire est le handicap physique ou mental.

L’article 88.1 de la Loi sur le service militaire stipule que « Si une personne qui, ayant reçu un avis d’appel sous les drapeaux, ou convocation (…) ne se présente pas dans les délais fixés par les clauses ci-après ou refuse de répondre à l’appel sous les drapeaux, et cela sans causes valables, sera condamnée à une peine de prison allant jusqu’à trois mois … ». Jusqu’en 2001, les personnes inculpées au titre de cet article étaient jugées par des tribunaux militaires et, après leur emprisonnement, pouvaient être appelées sous les drapeaux et condamnées de manière répétée. Cela n’est plus le cas ; les procès ont lieu aujourd’hui devant des tribunaux civils et le Décret d’application (art. 136.2) de la loi sur le service militaire stipule maintenant que ceux qui ont purgé des peines de 18 mois ou plus sont libérés de l’obligation de servir. Tous ceux qui refusent le service militaire pour motifs d’objection de conscience sont poursuivis en vertu de cet article ; depuis 2001, la plupart d’entre eux ont été condamnés à 18 mois de prison.

Evolution de la législation

Le 18 septembre 2007, la République de Corée annonça son intention de modifier la Loi sur le service militaire dans le courant de 2008, afin d’instituer un service civil de remplacement pour les objecteurs de conscience à partir de janvier 2009, ce qui fut signalé en mai 2008 au Groupe de travail lors du premier cycle de l’Examen périodique universel (EPU) du Conseil des droits de l’homme, où la Corée avait reçu des recommandations de la Slovénie et du Royaume Uni à ce sujet.

Mais le 16 juin 2008, le gouvernement annonça que ce calendrier ne pourrait pas être tenu et déclara que « la question de l’objection de conscience exigeait d’être approfondie et qu’il fallait créer un consensus national plus large ».15

Le 21 juillet, la Commission nationale des droits de l’homme réitéra la recommandation qu’il avait adressée au gouvernement le 26 décembre 2005 en vue de la création d’un système de reconnaissance des objecteurs de conscience et de l’établissement d’un service civil de remplacement.

Le 22 août, l’Administration du personnel militaire chargea le professeur Jin Seok-yong de l’Université de Daejon d’entreprendre une étude de faisabilité sur la mise en œuvre d’un service civil de remplacement pour les objecteurs de conscience. Le rapport final, qui contenait les résultats de diverses consultations et recommandait la mise en œuvre de ce projet, fut publié le 19 décembre. Cependant, le Ministère de la défense se saisit du résultat d’un seul sondage d’opinion mené dans le cadre de l’étude, dans lequel 68,1% des personnes interrogées (chiffre beaucoup plus élevé que ceux de tous les autres sondages sur cette question) avaient exprimé leur opposition au projet. Sur cette base, il annonça le 24 décembre qu’il était donc « encore trop tôt pour autoriser des formes de service de remplacement pour les objecteurs de conscience. »16

Lors de l’examen de la République de Corée dans le cadre du deuxième cycle de l’EPU, en octobre 2012, ce ne sont pas moins de sept Etats17 qui ont formulé des recommandations au sujet de la non-reconnaissance de l’objection de conscience au service militaire et de l’emprisonnement des objecteurs de conscience. Toutes ces recommandations mises ensemble ont formé la recommandation n° 53. Un huitième Etat, la Hongrie, n’a pas fait de recommandation formelle, mais « a encouragé la République de Corée à poursuivre ses efforts … pour instaurer le service civil en remplacement du service militaire pour les objecteurs de conscience avant le prochain cycle de l’Examen périodique universel ». 18 La Recommandation 53 ne fait pas partie de celles qui jouissent de la faveur de la République de Corée. Le gouvernement examinera cependant la question, « tout en tenant compte de l’évolution future de la situation en matière de sécurité et de l’apparition d’un consensus populaire. »19

Depuis lors aucune information n’a filtré au sujet de ce qu’aurait entrepris le Ministère de la défense dans ce domaine, mais le 18 juillet 2013, Jeon Hae-cheol, membre de l’Assemblée, a déposé une proposition de loi20 visant à réviser la loi sur le service militaire en vue de créer un service civil de remplacement, proposition appuyée par onze autres membres. Certains progrès relatifs à cette proposition ont été signalés. Entre temps, un sondage Gallup a eu lien entre le 4 et le 7 novembre 2013 et son résultat est presque exactement l’inverse de celui de 2008, celui-là même que le gouvernement avait utilisé pour justifier son inaction.21

La Cour constitutionnelle de la République de Corée

Le 5 septembre 2008, la Cour d’appel du district de Chungcheon, dans la province de Gaewong, a regroupé les appels interjetés par trois Témoins de Jéhovah contre leur condamnation pour refus du service militaire pour raisons de conscience, et les a déférés à la Cour constitutionnelle, lui demandant une décision de justice sur la constitutionnalité de l’article 88.1. A ces cas, on associa par la suite celui d’un objecteur de conscience qui avait été acquitté en première instance, mais condamné en appel.

La Cour constitutionnelle statua sur ces quatre affaires le 30 août 2011. A une majorité de 7 contre 2, elle confirma la décision qu’elle avait rendue dans une affaire précédente à ce même sujet, le 26 août 2004, et mentionnée dans le rapport de l’Etat.22 Ce faisant, la Cour semble avoir non seulement ignoré les changements intervenus dans la jurisprudence d’autres instances, notamment la Cour européenne des droits de l’homme23 et la Cour constitutionnelle de Colombie24, mais aussi n’avoir pas tenu compte des obligations de la République de Corée en vertu du PIDCP, telles que précisées par le Comité des droits de l’homme.

Malgré cette décision récente, un nombre croissant de juges de district ont exprimé des doutes quant à la compatibilité de la condamnation obligatoire des objecteurs de conscience avec les garanties constitutionnelles de la liberté de conscience et de la dignité humaine, et six cas25 ont été soumis à la Cour constitutionnelle par des cours de district pour examen. On pense que la Cour constitutionnelle examinera ces cas ensemble ; IFOR s’est joint à Amnesty International, le conseil consultatif mondial des amis (Quakers), la Commission internationale des juristes et War Resisters International pour envoyer à la Cour un mémoire (amicus brief) exposant l’évolution des normes et de la jurisprudence internationales ainsi que les pratiques des Etats dans le monde.

Deux autres séries de cas qui sont actuellement devant la Cour constitutionnelle ont le caractère de plaintes constitutionnelles. Les 433 auteurs des communications en vertu du Protocole facultatif au PIDCP aux noms de Min-kyu Yeong et consorts et Jong-nam Kim et consorts ont porté plainte contre le fait que la législation ne porte pas remède à la situation, ce qui est une violation du Pacte. Vingt-et-un individus ont porté plainte individuellement contre la pratique consistant à condamner de manière uniforme les objecteurs de conscience à 18 mois de prison, ainsi que contre l’absence de service civil de remplacement, toutes deux non conformes à la Constitution.

Condamnation et emprisonnement d’objecteurs de conscience

Comme les chiffres fournis par le rapport de l’Etat26 le montrent, on observe en 2008 un ralentissement dans les poursuites des objecteurs de conscience, en anticipation de l’établissement attendue d’un service civil de remplacement. Le nombre des condamnations, bien que représentant un nombre bien supérieur au nombre total des objecteurs de conscience déclarés emprisonnés dans le reste du monde, était le plus bas qu’ait connu la République de Corée depuis le début des années 1990.27 Le nombre des peines d’emprisonnement s’accrut rapidement à partir de 2009 et à la fin de 2010, plus de 900 Témoins de Jéhovah purgeaient des peines de prison pour avoir refusé, pour raisons de conscience, d’effectuer du service militaire. Les chiffres les plus récents publiés par les Témoins de Jéhovah montrent que le 31 août 2014, 562 de leurs membres étaient sous les verrous pour avoir refusé de servir pour motif de conscience. Depuis 1953, ce sont en tout plus de 18'000 Témoins de Jéhovah qui ont été condamnés à un total de 34'800 ans de prison.28

Bien que les Témoins de Jéhovah soient de loin les plus nombreux, comme l’indique la tabelle figurant dans le rapport de l’Etat, ils ne sont pas les seuls objecteurs de conscience en République de Corée. En décembre 2014, War Resisters International a recensé sept objecteurs de conscience déclarés qui ne sont pas Témoins de Jéhovah et qui purgent actuellement des peines de 18 mois de prison au titre de l’article 88.1.29 L’un d’eux au moins est membre de la communauté anabaptiste en République de Corée. Il est très probable qu’il existe encore d’autres objecteurs de conscience emprisonnés issus de divers milieux religieux et qui ne sont pas connus de War Resisters International ; beaucoup d’entre eux ne recherchent pas la publicité, notamment en raison de la stigmatisation liée à la condamnation et à l’incarcération.

Emprisonnement répété d’objecteurs de conscience

Bien que les conscrits appelés pour la première fois qui ont été condamnés à des peines de 18 mois ou plus n’aient pas été soumis à des appels répétés, il n’en va pas de même pour ceux qui ne sont devenus objecteurs de conscience qu’après avoir effectué la période initiale de leur service militaire et ont refusé l’appel à remplir leurs obligations de réserve. La peine pour un tel refus peut être l’emprisonnement, mais ordinairement, elle consiste en une amende. Toutefois, cela ne les libère pas de leurs responsabilités ; les réservistes qui sont objecteurs de conscience peuvent être soumis à la répétition des appels sous les drapeaux et des sanctions durant une période de huit ans. On estime qu’en 2009, quelque 80 Témoins de Jéhovah qui s’étaient convertis après la période initiale de leur service militaire étaient dans cette situation30. Comme l’a fait observer le Comité des droits de l’homme, ces peines « peuvent être assimilées à une peine sanctionnant pour la même infraction si ce refus réitéré est fondé sur la même détermination permanente qui s’appuie sur des raisons de conscience ». C’est là une atteinte au principe ne bis in idem.31

Désavantages subis par les objecteurs de conscience dans la vie civile

Selon l’article 76 de la loi sur le service militaire, les personnes qui n’ont pas rempli leurs obligations militaires ne peuvent pas occuper des emplois dans l’administration ou des organismes publics. En outre, comme le Comité des droits de l’homme l’a reconnu à propos de l’affaire Yyeong et consorts (voir ci-dessus, note 8), les objecteurs de conscience ne sont pas seulement pénalisés pour avoir exercé leur liberté de pensée, de conscience et de religion, garantie par le pacte, mais sont leur vie durant stigmatisés du fait de leur casier judiciaire, ce qui peut les amener à subir de nombreuses formes de discrimination.

1 CCPR/C/KOR/CO/3, 28 novembre 2006, par. 17.

2 Comité des droits de l’homme, Constatations adoptées le 3 novembre 2006, Communications nos. 1321/2004 et 1322/2004 ; M. Yeo-Bum Yoon et M. Myung-Jin Choi c. République de Corée (CCPR/C/88/D/1321-1322/2004, 23 janvier 2007), par. 8.3

3 Ibid., par. 8.4.

4 Comité des droits de l’homme, Constatations adoptées le 23 mars 2010, Communications n°s 1593à 1603/2007 ; Eu- min Jung et al. C. République de Corée (CCPR/C/98/1593-1603/2007, 14 avril 2010), par. 7.3.

5 Ibid., par. 7.4.

6 Comité des droits de l’homme, Constatations adoptées le 24 mars 2011, Communications n°s 1642-1741/2007 (CCPR/C/101/D/1642-1741/2007, 5 avril 2011).

7 CCPR/C/98/D/1593-1603/2007, par. 9.

8 CCPR/C/98/D/1593-1603/2007, par. 9

9 Comité des droits de l’homme, Constatations adoptées le 25 octobre 2012, Communication n° 1786/2008 ; Jong-nam Kim et consorts c. République de Corée (CCPR/C/D/1786/2008, 21 décembre 2012), par. 12.

10 Comité des droits de l’homme, Constatations adoptées en octobre 2014, Communication n° 2179/ 2012 ; Young-kwan Kim et consorts c. Rép. De Corée (CCPR/C/112/D/2179/1741/2012)

11 CCPR/C/KOR/4, 19 août 2013, par. 265 – 271.

12 CCPR/C/KOR/Q4, 28th April 2015, par. 21. [trad. provisoire]

13 CCPR/C/KOR/Q4/Add.1, 31 juillet 2015, par. 67, 68. [trad povisoire]

14 The Cholsunilbo, English edition,(http://english.chosun.com) 22 décembre 2010.

15 La suite chronologique ds évènements donnée ici se fonde en grande partie sur MIMBYUN (Avocats pour une société démocratique) et KSCO (Korea Solidarity for Conscientious Objection, Korean Government cancelled Alternative Civilian Service : Briefing paper on Conscientious Objection issues in the Republic of Korea, March 2009, pp. 8 - 10 .

16 Herskovitz, J. and Kim Junghzun, “South Korea rethinks alternative to conscription”, Euronews24, 24th December, 2008, reproduced at http://wri-irg.org/node/627

17 L’Australie, le France, l’Allemagne, la Pologne, la Slovaquie, l’Espagne et les Etats-Unis d’Amérique.

18 A/HRC/22/10, Par. 44.

19 A/HRC/22/10/Add.1, Par. 30

20 No. 6042

21 Human Rights Without Frontiers International (www.hrwf.net)“Gallup poll reveals shift in perception of conscientious objection in South Korea”, 26 février 2014

22 Voir War Resisters' International, “South Korea: Constitutional court again denies right to conscientious objection”, in CO Update No 68, September 2011.

23 Cour européenne des droits de l’homme, Grande Chambre. Affaire Bayatyan c. Arménie (Requêteno.23459/03):Jugement Strasbourg, 7 juillet 2011.

24 Corte Constitucional de Colombia, Comunicado No.43Expediente D7685 Sentencia C-728/09,14 octobre 2009.

25 Cas nos: 2013HunGa5, soumis à la Cour constitutionnelle par la Cour du district Nord de Séoul; 2014HunGa8, soumis à la cour constitutionnelle par la Court du district Est de Séoul; 2012HunGa17, soumis à la Cour constitutionnelle par la Branche de Masan Branch de la Cour du district de Changwon; 2013HunGa23, soumis à la Cour constitutionnelle par la Cour du district Sud de Séoul ; 2013HunGa27, Cour constitutionnelle par la Cour du district de Ulsan ; 2013HunGa13, Cour constitutionnelle par la Cour du district de Suwon.

26 Par. 271.

27 MIMBYUN and KSCO, op. cit. (note 6), p.6

28 http://www.jw.org/en/news/legal/by-region/south-korea/jehovahs-witnesse…

29 http://wri-irg.org/programmes/pfp, consulté le 22 avril 2012. Cinq ont été condamnés en 2011, et quatre d’entre eux doivent terminer de purger leur peine en 2012.

30 MIMBYUN and KSCO, op. cit. (note 6), p.10.

31 Comité des droits de l’homme, Observation générale m° 32 (CCPR/C/GC/32, 23 août 2007), par. 55.

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