Une Barriere Entre Le Mexique et les Etats Unis: l’insécurité, la pauvreté et l’isolation
Ainhoa Ruiz Benedicto
Les 3169 km de la frontière entre les USA et le Mexique sont devenus une barrière insurmontable et lourdement militarisée et contrôlée. Le déploiement de forces de sécurité, de contrôles frontaliers et d’armements ressemble beaucoup à celui de deux pays en état de tension armée. Il n’y a pas une seule section de cette frontière qui ne soit pas occupée par des clôtures en acier, des caméras de surveillance, des hélicoptères Blackhawk, des drones Predator ou des patrouilles frontalières, des agents de l’Immigration ou de la Protection des Douanes, dont la présence a doublé ces six dernières années pour atteindre 25 000.
Chaque année la militarisation de la frontière augmente. En 2014 le gouvernement des USA a approuvé le déploiement de près de 1000 agents de la Garde Nationale, qui fonctionne comme une milice d’Etat, principalement dans la région du Rio Grande, la barrière naturelle qui marque la division entre les deux pays. Le gouvernement des Etats-Unis a justifié cette décision par la nécessité de combattre les trafiquants de drogue.
Cette année le gouverneur du Texas , Greg Abbott, a approuvé une nouvelle loi qui a incorporé cet aspect militaire. La loi HB11 a mené à un contrôle accru de la région, avec un budget prévu de près de 800 millions de dollars pour la formation et l’achat de technologie et d’équipement.
Ces nouvelles conditions ont entraine de fortes protestations de la part du gouvernement du Mexique, et ont renforcé les tensions internationales , en plus de leur impact social sur les communautés des deux côtés de la barrière , qui voient leurs demeures et leurs rues devenir de plus en plus des zones militarisées.
Que se passe-t-il le long de la frontière Américaine avec le Mexique qui a entraîné que de telles mesures soient prises ?
La réponse se trouve au-delà du concept de la sécurité entre les deux états, la lutte contre les drogues ou le contrôle des flux migratoires.Pour comprendre le rôle de la barrière, il faut approfondir notre compréhension de la situation sociale des deux côtés de la frontière et au delà, ainsi que sa raison d'être comme barrage contre la discorde et pour le maintien du status quo grâce à l’usage de la force.
Les chiffres de l’Index de Développement Humain (HDI) pour des régions séparées par seulement quelques kilomètres des deux côtés de la frontière nous révèlent beaucoup sur la situation dans les deux pays. D’après le Rapport de Développement Humain, publié par le Programme de Développement des Nations Unies, les régions du côté des USA et voisines de la frontière ont l’index HDI le plus bas du pays, ce qui, néanmoins, se révèle être plus élevé que celui des régions de l’autre côté de la frontière, qui ont l’index HDI le plus haut du Mexique. C’est pour dire que, plus l’on s’éloigne de la barrière d’un côté, plus on trouve des espoirs de développement de la personne, mais plus l’on s’éloigne de l’autre côté, plus on rencontre des signes de précarité. Cela aide à expliquer non seulement la direction évidente de la migration, mais aussi la façon dont la barrière établit un modèle de relations sociales et politiques entre le Nord et le Sud, selon l’intérêt économique nécessaire à la survie de l’état néolibéral et capitaliste (Source: UNDP, 2009. http://hdr.undp.org/sites/default/files/reports/269/hdr_2009_en_complete.pdf)
Ces relations deviennent évidentes le long de la frontière Mexicaine à cause de la croissance énorme de la précarité de l’emploi qui est renforcée par l’ arrivée continue d’immigrants venant des parties sud du Pays .Nous pouvons constater la présence dans la région de maquiladoras ( des centres de montage qui produisent des produits destinés à l’exportation et dans lesquels la main-d’œuvre à bon marché est la règle ), ainsi que de taxes quasiment non existantes et d’autorités très laxistes dans l’application des lois qui protègent les droits des travailleurs. Tout cela à seulement quelques kilomètres de la principale puissance mondiale.
Etablies au Mexique depuis les années 1960, les maquiladoras sont en grande expansion depuis la fin du vingtième siècle et le début du vingt-et-unième, principalement pour satisfaire la main-d’œuvre à bon marché qui était demandée pour satisfaire l’accord de libre-échange entre les USA et le Mexique (NAFTA) qui a pris effet en 1994. Avec cet accord de libre-échange les multinationales américaines peuvent transférer leur production dans les maquiladoras mexicaines .
Les travailleurs d’une maquiladora vivent dans des conditions totales de besoins et d’insécurité , avec un salaire qui atteint à peine les 45 euros par semaine, 80% d’entre eux n’ont aucun syndicat et les droits des travailleurs sont quasiment non-existants.
Conséquemment, la relation est établie de trois manières : 1) précarité de l’emploi et main-d’œuvre à bon marché pour satisfaire les objectifs croissants de la production américaine, 2) dépendance économique et sociale du Mexique envers son voisin, de telle façon que si la production décroit, comme c’est arrivé à cause de la récente crise économique, le chômage se multiplie, et 3) confinement grâce à une barrière hautement militarisée qui maintient la précarité hors d’atteinte de lois et règlements plus stricts.
Les états-nations construisent des murs autour de leurs frontières pour se protéger contre un libéralisme excessif aux frontières. Du point de vue néolibéral, la pauvreté est criminalisée, dans ce cas-ci, sous forme d’immigration, qui est vue comme une menace envers les pays les plus développés et comme une force capable d’engendrer des faillites et des conflits,. Et c’est pourquoi existe ce besoin d’investir des millions de dollars pour reprendre contrôle- toujours par l’utilisation de la force- tandis que, d’un autre côté, le flux de capitaux n’a pas de barrières et est établi légalement par des accords qui reproduisent la pauvreté.
La situation d’une frontière militarisée crée un scénario d’apartheid humanitaire qui n’est pas réservé à ce secteur géographique, et, où ,en l’espace de quelques kilomètres, convergent deux réalités qui et se soutiennent et se repoussent mutuellement . L’état néolibéral a besoin de l’existence de de la précarité, mis surtout sous son contrôle, et, si possible, au-delà de sa portée géographique.
Les pays reproduisent leurs frontières la même sorte d’actions qu’ils entreprennent à l’intérieur, dans leur propres territoires, pari leur propres populations: la précarité est balayée vers les côtés et la périphérie. Dans ce cas les frontières n’existent pas en tant que telles et sont bien plus poreuses; elle sont donc besoin d’une militarisation et d’agents de contrôle et de sécurité, et de police anti-émeutes.
Cette tendance devient de plus en plus répandue, prime sur la coopération sociale, économique et politique entre les états, et nous mènent à une militarisation croissante des fontières, non seulement entre états, nais aussi entre des réalités sociales et des crises humanitaires, et engendrent un modèle de confinement, par l’usage de la force, qui laisse peu de place à la coopération sociale et à la paix .
Ainhoa Ruiz Benedicto
Collaborateur au Centre Delàs d’Etudes de la Paix
Ainhoa Ruiz Benedicto s’est spécialisée dans les conflits sociaux et armés au niveau universitaire, et a participé à des projets éducatifs au Pérou, ainsi qu’à des activités militantes en Palestine et à des projets de résolution de conflits avec des gangs en Colombie. Elle collabore au Centre Dalás à plusieurs campagnes pour la paix, et est une militante sociale aà Bercalone.
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