Notre police est militarisée et a besoin d’être cadrée
Laura Pollecutt
Pendant les années d’apartheid, les discussions se poursuivaient dans chaque camp et hors du pays, au sujet de la sécurité des institutions d’État et de leur fonctionnement dans une démocratie à venir. Ces débats s’intensifièrent durant les années où l’apartheid agonisait.
Il n’y avait alors que peu de différence entre l’armée et la police ; les deux étaient utilisées pour maintenir la minorité au pouvoir par des moyens répressifs. En fait, ces deux institutions étaient souvent en concurrence pour voir laquelle servirait le mieux leurs maîtres du Parti national. La police avait des pouvoirs très étendus et était lourdement dotée d’armes pour réprimer « l’agitation ».
Après 1994, il était important de s’assurer que la police changeait et pouvait remplir ses devoirs d’une façon qui pouvait être un service pour les citoyens. En conséquence, son nom [force de] Police sud africaine devint Service sud africain de police pour accentuer le besoin de changement d’attitude. Les structures supérieures de la nouvelle police étaient aussi incitées à se démilitariser.
Les niveaux des crimes restent élevés en Afrique du Sud. C’est pourquoi la police post apartheid des cabinets ministériels et les commissaires ont bassement flatté les appels à ce que le gouvernement d’apartheid aurait appelé « Kragdadigheid » (emploi total de la force et poigne de fer) pour traiter du crime. Le langage était et reste encore de « parler de guerre ». La hiérarchie policière préconise une plus grande agressivité dans la poursuite et l’arrestation des criminels et rabâche constamment la « guerre contre le crime ». Bien que ce soit contraire à la loi, les officiers de police encouragent le « tirer pour tuer ». Ceux qui croient que la police doit être à la fois juge et exécuteur aiment dire que les criminels ont plus de droits que les citoyens ordinaires.
Les partisans de la démilitarisation se sont opposés à la militarisation des services de police, régulièrement exigée par les politiciens qui l’expriment particulièrement dès qu’on sait que se préparent les projets d’y réintroduire les grades et organisations militaires. Malgré cette opposition, les pratiques militaires ont été à nouveau appliquées en 2010 comme sous l’apartheid. Ce changement n’était pas populaire, y compris à l’intérieur des services de police. En 2011, le syndicat Popcru déclara cette réintroduction illégale, rappelant aux Sud Africains : « c’était précisément, afin d’en finir avec l’esprit des “soldats en guerre” et de construire un service de police démocratique et responsable, qu’une démilitarisation de la police était si cruciale dans la politique de l’ANC. » Popcru n’a pas réussi.
Mais c’est probablement en matière d’ordre public que la militarisation a réellement prospéré.
Au début des années 90, après la levée de l’interdiction des mouvements de libération, les pourparlers continuaient entre ces mouvances et le gouvernement d’apartheid. À cette période le pays était ravagé par une politique interne de violence et il s’était établi une “division de la stabilité interne”. Parallèlement, en délivrant des messages négatifs sur les forces de sécurité de l’apartheid, l’Unité a été rebaptisée après les élections de 1994 « Maintien de l’ordre public ».
Des modèles progressifs de politique policière ont été adoptés et le maintien de l’ordre était devenu bienveillant avec les usagers. Comme l’enregistrent Tait et Marks dans Vous frappez un rassemblement vous frappez un rocher (Trimestriel du crime en Afrique du Sud, n° 38, décembre 2011) : « La formation au maintien de l’ordre public se focalisait sur un dossier “du contrôle des foules à la gestion des foules”. Il était requis des membres de ces unités de police de penser aux moyens de contenir les manifestations avec un usage minimal de force, de négocier avec les organisateurs et personnes autorisées pour les plans et conséquences sur l’ordre public, d’employer des tactiques qui démontraient la tolérance, et de rendre l’usage des armes adapté au nouveau schéma pour le contrôle des foules.
Je pense qu’on peut dire à coup sûr que ce modèle était dicté par ce qui se trouvait envisagé dans la Loi sur la régulation des rassemblements, votée juste antérieurement au nouveau décret. Une pièce défectueuse de la législation de plusieurs façons, qui fit bouger le gouvernement de l’apartheid hors de la politique répressive des rassemblements.
Cependant, l’approche éclairée a été interrompue par les restructurations au fil des années et il y a eu une émergence (ou une possibilité de retour vers ?) une approche plus paramilitaire de la politique de maintien de l’ordre. Initialement ces compagnies s’appelaient Unités de réponse tactique (TRUs), mais renommées plus tard Maintien de l’ordre public.
La frustration et le désappointement avec le rythme de mise en œuvre a conduit à de fréquentes protestations, souvent accompagnées de destructions de propriétés et d’affrontements avec la police. Des études ont montré que ces manifestations ne sont apparues que quand les communautés ont cru qu’elles n’étaient pas entendues par leurs représentants au gouvernement. Depuis 2004 au moins 44 personnes ont été tuées par la police lors de ces protestations. Ces chiffres incluent le massacre de Marikana, où 34 personnes ont été abattues et 78 blessées. L’Afrique du Sud attend le rapport d’une commission d’enquête sur cet épouvantable épisode.
À cause de formation apportée par la Gendarmerie française, SAPS a tendu vers ce modèle de maintien de l’ordre. Tait et Marks prouvent que la garantie offerte pour l’acceptation de ce modèle sur les tactiques de la Gendarmerie française est efficace, mais aussi critiquable car perçue comme paramilitaire et en relation avec des démonstrations de force. Malheureusement, le show pour montrer sa force est devenu une caractéristique habituelle du maintien de l’ordre public.
Les opinions divergent sur le rôle de la police locale et celle des TRUs dans le maintien de l’ordre public. Certains suggèrent que la police locale, qui, parce qu’elle n’est pas suffisamment formée, a recours plus souvent à la violence que les TRUs afin de réprimer des manifestants. D’autres croient que la police locale a plus de sympathie avec les manifestants qu’une unité venue de l’extérieur, et donc serait plus capable de stabiliser la situation. Il résulte de mes propres observations que le caractère paramilitaire des unités chargées du maintien de l’ordre public avec leurs armes sophistiquées, véhicules blindés (Nyalas – véhicules anti-émeute – qui sont utilisés maintenant après l’avoir été intensivement par la police de l’apartheid, ce qui n’échappe pas aux communautés) et autres équipements, accroissent les tensions lors du contrôle des foules, en particulier dans les endroits où les actions de protestation sont plus spontanées et où la Loi de régularisation des rassemblements n’est pas appliquée. Pourtant le travail de la police locale avec les TRUs apparaît parfois comme une relation difficile.
Le bain de sang de Marikana montre qu’à la fois la police locale et les TRUs sont impliqués. La Campagne Ceasefire s’exprimait alors son souci, de même que lors des évènements actuels, que la police avait abandonné toute réserve face aux situations de contrôle de foule. Ceasefire était aussi malheureux de voir que l’ample puissance de feu déployée (la démonstration symbolique de pouvoir est une part de la force paramilitaire), avant que la police ne tire probablement sur la croyance erronée que cela détournerait la foule. L’histoire nous apprend que les armes tendent à aggraver une situation de tension et non à la maîtriser.
Il y a eu un appel pour reformer les unités de police pour le maintien de l’ordre et pour revenir à un modèle utilisé lors des toutes premières années de notre démocratie. Jan Burger, de l’Institut des études de sécurité a attiré l’attention des groupes de travail sur le Plan de développement national 2030 (NPD) intitulé « notre futur – assurer son fonctionnement ». Il contient nombre de recommandations à long terme, dont il croit, si elles sont mises en œuvre, verraient une amélioration spectaculaire pas seulement pour la police mais aussi pour le gouvernement. « Le NPD recommande avec insistance que les services de police sud africain soient démilitarisés le plus vite possible. » Il préconise aussi de revoir la culture de l’organisation de la police afin d’évaluer les effets de la militarisation, de la démilitarisation et de la remilitarisation ainsi que des crises à répétition de la haute hiérarchie. »
Cependant, Burger suggère qu’il n’y a pas de contenu suffisant dans les recommandations afin de la comprendre la militarisation et la démilitarisation : il soutient le point de vue que la police ne peut pas être démilitarisée par de simples replis au stade d’un précédent niveau de non militarisme. Il se réfère à un séminaire ISS [acronyme d’usage incertain] du 11 avril 2013, intitulé « Comprendre la brutalité de la police en Afrique du Sud : défis et solutions », où il dit qu’était montré que « la police n’est pas militarisée ou démilitarisée simplement par changement de responsables. C’est plutôt le langage et le ton de leurs chefs expérimentés et politiques qui contribuent à la création d’une forme de militarisation. »
Il est regrettable qu’apparaisse un écart entre ce que le NPD recommande et la façon dont ceux qui sont investis dans la police voient un retour au style paramilitaire dans le maintien de l’ordre public. Lors d’une réunion de parlementaires en septembre 2014, il n’a été fait aucune référence au NPD et très peu de sujets ont été abordés sur le droit des citoyens de manifester sains et saufs. La présentation argumentait pour une augmentation des ressources alignée sur la nature paramilitaire de l’Unité. Cela signifierait que des étapes ont été franchies pour imposer l’autorité de l’État, par l’ordre public policier, en contradiction avec la conduite des élections municipales de l’an prochain.
Dans un communiqué de la campagne pour le droit de savoir (R2K) paru le jour des droits de l’homme du 21 mars, il était demandé que les droits de manifester des citoyens, de libre assemblée et de liberté d’expression soient respectés et protégés par la police. Sa conclusion :
La police doit changer !
La criminalisation croissante des protestations est une atteinte à la liberté d’expression et de réunion. Le droit de manifester est au cœur de la lutte démocratique pour la liberté. La mobilisation de force brute contre des individus non armés est une insulte non seulement à la liberté d’expression et de réunion garantie par notre Constitution ; c’est aussi un refus de l’héritage des luttes que des milliers de personnes ont payé de leur vie.
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