Leçons du printemps arabe
Les soulèvements populaires non armés dans le monde arabe au début 2011, ont surpris l’opinion mondiale, à la fois parce que la plupart des observateurs ne s’attendaient pas à ce que des demandes pour les droits humains et des choix démocratiques deviennent centraux dans les États arabes, et qu’ils ne prévoyaient pas de manifestations de masse à prédominance non armées. Cependant et rétrospectivement, il y a plusieurs raisons pour que le « printemps arabe » pris la forme qui fut la sienne au départ en Tunisie, en Égypte, à Bahreïn, en Syrie, en Libye et en d’autres pays. D’ailleurs, comme émergeait la résistance nonviolente des scolaires, dans les premiers mois les mouvements les plus significatifs montraient certaines des caractéristiques de ces techniques d’actions. Dans le long terme, néanmoins, plusieurs des mouvements ont échoué à tenir leurs promesses initiales, dépassés par la guerre civile armée (comme cela arriva vite en Libye, et plus graduellement en Syrie), ou ne parvenant pas à mener leur but démocratique d’origine – notamment en Égypte. Les impressionnantes manifestations au « rond point des Perles » de Bahreïn ont été rapidement écrasées, et les ouvertures préventives des gouvernants du Maroc et de Jordanie pour des réformes et des rencontres avec les demandes publiques n’ont, pour l’instant, que dilué le pouvoir royal. Cet article pointe brièvement les aspects ci-dessus et aborde ensuite quelques questions pour l’avenir.
Pourquoi le réveil arabe arrive-t-il à point?
Des facteurs internes sont importants dans l’explosion des insurrections, par exemple le nombre croissant de jeunes à bon niveau d’éducation combiné avec des conditions économiques restrictives, et l’augmentation de la colère contre la corruption du régime et la répression. Mais des facteurs globaux sont particulièrement pertinents à la fois des aspirations à une plus grande démocratie et le choix initial de méthodes essentiellement nonviolentes. Depuis les années 1980, il y a eu une hausse significative du nombre d’États dans le monde adoptant des formes de démocratie électorale, souvent en réponse à l’augmentation de la pression populaire, ajoutée aux diverses recommandations internationales. Même des régimes autoritaires trouvent de plus en plus leur légitimité à partir d’élections prétendues libres, et il y a de nombreux exemples depuis 2000 de populations (en Afrique sub-saharienne et dans les anciens pays sous influence soviétique) qui contestent des élections habillées de toute pièce. L’idée et la stratégie de résistance nonviolente a aussi été promue largement par quelques individus et des groupes militants. Certains militants en Égypte, par exemple, connaissaient la ville de tentes résistant aux élections truquées d’Ukraine en décembre 2004, et ils avaient lu les textes de Gene Sharp. Les militants arabes pouvaient également être en harmonie avec le rôle significatif (quoique partiel) de la résistance non armée dans la lutte palestinienne, avec le mouvement vert en Iran (2009-10). Le rôle d’Internet en diffusant les nouvelles, et permettant l’organisation rapide de manifestations, a clairement été décisif et bien informé, spécialement dans le cas de l’Égypte.
Comment les révoltes initiales sont-elles conformes aux stratégies nonviolentes?
Les révoltes arabes, qui ont débuté en Tunisie puis en Égypte, n’ont jamais été strictement nonviolentes, mais les méthodes utilisées de grèves, désobéissances civiles, en particulier l’occupation d’espaces clefs et symboliques et les manifestations massives sont typiques de la résistance nonviolente, d’ailleurs beaucoup de manifestations reflétaient une éthique d’autodiscipline, d’amitié mutuelle et de coopération entre des secteurs très différents de la société urbaine. Les femmes étaient plutôt en avant, les étudiants et intellectuels mélangés aux ouvriers et artisans, et place Tahrir, en février 2011, les chrétiens coptes étaient bienvenus parmi les musulmans. Même en Syrie, où le régime repose sur le soutien de minorités religieuses – particulièrement les Alaouites, mais aussi les Druzes et les chrétiens – les manifestants nonviolents essayaient dans leurs slogans et symbolismes de créer des liens au-dessus des divisions religieuses (Bartkowski et Kahf, septembre 2013). Le déroulement de l’insurrection au début a réussi un objectif-clef de la stratégie de résistance nonviolente : le refus des services de sécurité d’exécuter les mesures de répression (Tunisie, Égypte) et des défections de membres des forces armées (Nepstad, 2011).
Mais il devient rapidement clair que les divisions religieuses et politiques vont miner les perspectives de transition douce vers un régime plus démocratique. Même en Tunisie, le premier mouvement et le plus plein de succès pour changer le régime eu des tensions avec les groupes libéraux laïcs et islamistes. La recherche d’un État plus islamiste a généré des problèmes pour la nouvelle « démocratie ». En Égypte, le manque d’accord entre les groupes laïcs d’oppositions et leur profonde division avec les frères musulmans (simultanément avec les actions inconstitutionnelles par l’élection du président Morsi) ont prouvé le désastre, ouvrant la voie en 2013 à une réaffirmation de facto du rôle des militaires. Le refus des militaires égyptiens d’écraser le soulèvement de 2011 et de sauver Mubarak, ambigu à l’époque, suggère maintenant un engagement à long terme pour maintenir le contrôle sous jacent du régime par l’armée, grâce à des ajustements tactiques.
Les défections par des sections des forces armées avant l’insurrection avaient développé suffisamment d’unité sociétale et la puissance pour le changement nonviolent, elles conduisirent à la guerre civile en Libye et à l’intervention militaire occidentale. En Syrie, les soldats ont commencé à fuir le pays, et à traverser les lignes rebelles – au risque d’être exécutés, mais, écrivant en 2011, Nepstad argue que c’est seulement parce qu’une trop petite proportion de militaires a déserté, qu’Assad a été capable de bloquer la révolte. Quelques officiers et soldats qui ont changé de camp formèrent l’armée libre syrienne, qui au fil du temps a transformé le conflit en lutte armée, renforcé l’intransigeance du régime Assad et son recrutement de combattants libanais du Hezbollah, créant les conditions pour que des forces extérieures mènent le conflit à une guerre destructrice entre des extrémistes impitoyables. Désormais, la plupart des observateurs ont oublié les mois de courageuses manifestations non armées en 2011 ; ils ignorent la poursuite des protestations des résistants nonviolents et le destin de la Syrie a l’air de dépendre de puissances étrangères (Iran et Russie derrière Assad, et les occidentaux soutenant l’opposition modérée).
Perspectives futures
Ironiquement, ces mouvements qui ont souffert initialement, ont été défaits ou n’ont pas réussi à gagner de l’élan, peuvent avoir aujourd’hui de meilleures perspectives que certains qui ont dégagé leurs dictateurs. Bien que le gouvernement du Bahreïn, appuyé par celui des réactionnaires d’Arabie Saoudite, ait écrasé rapidement l’insurrection, les protestations continuent, y compris des célébrations publiques de l’anniversaire des soulèvements tant en 2012 qu’en 2013, et il existe des signes de possibles concessions du régime. Les relations de pouvoir non seulement régionales mais aussi internationales n’ont pas été utiles aux habitants de l’émirat de Bahreïn, d’autant que les États-Unis y ont une importante base navale et, dans ce contexte, donnent plus de poids à leurs intérêts stratégiques qu’à leurs professions de foie sur l’idéal démocratique. Néanmoins, les causes qui encouragèrent les insurrections de 2011 créent encore un paysage favorable à d’autres pressions populaires, pas seulement au Bahreïn, mais en Jordanie et au Maroc, où se poursuivent des manifestations tant sur les problèmes économiques que politiques.
Malheureusement, cependant, les retombées de Libye – qui reste politiquement très instable et qui exporte l’extrémisme islamique en Tunisie – et les perspectives encore plus préoccupantes de la désintégration de la Syrie, ne présagent rien de bon pour des perspectives de démocraties pacifiques dans la région. Quand 2011 débute, les masses non armées montrent le pouvoir des populations, appellent à une plus grande liberté politique, un choix démocratique, une responsabilité gouvernementale, et retirent l’initiative aux djihadistes violents engagés vers un futur musulman autoritaire. Les luttes en Syrie ont ramené sur la scène politique Al Qaeda et des groupes similaires. Comme un résultat le besoin de solutions créatives nonviolentes, notamment en Égypte, est devenu plus intense.
April Carter
Bibliography
Bibliographie
Maciej Bartkowski et Mohja Kahf, « La Résistance syrienne : une histoire de deux lutes », openDemocracy, 23 et 24 septembre 2013
Sharon Erickson Nepstad, “La Résistance nonviolente au printemps arabe : le rôle critique des militaires – opposition et alliances », Swiss Political Science Review, 2011, n° 17(4) : 485-91.
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