Outils techno-politiques contre la répression: le cas du mouvement 15M en Espagne

Le 25 septembre 2012 dernier et les jours suivants, dizaines de milliers de personnes ont entouré le Congrès des Députés du Gouvernement espagnol à Madrid dans une opération appelée "25S Entourez le Congrès". Cette action avait pour but d'exiger la démission du gouvernement afin de mettre en œuvre un procès constitutif visant une société vraiment démocratique. Le rassemblement, annoncé deux mois à l'avance, rappelait vaguement aux contre-sommets du mouvement antimondialisation d'il y a une décennie. Le gouvernement n'a pas hésité à mettre en œuvre les mêmes type de mesures pour attaquer le mouvement. Le Congrès a été clôturé et entouré par 1350 policiers antiémeutes qui n'ont pas hésité à agresser sauvagement les manifestants pacifiques et à utiliser des policiers infiltrés, habillés en black bloc, qui agissaient comme provocateurs. La plupart des manifestants ont résisté pacifiquement. Il y en a même eu plusieurs que, malgré les charges de la police contre eux, ont resté pendant des heures devant le congrès dans un grand sit-in. D'autres ont décidé de se défendre en jetant des pierres contre la police quand celle-ci a commencé à charger indistinctement la foule. Tout est déjà connu: la police cherchait de provoquer la panique et la violence, et elle y a réussi en partie. Les médias ont fait leur rôle. Ils ont parlé de 'chocs et affrontements', en omettant dans une grande partie les images dans lesquelles les agents agressaient indistinctement les gens qui résistait pacifiquement ou qui essayaient de se protéger de leurs attaques.

Quelques jours après, pourtant, la surprise fut grande quand les sondages ont indiqué que 77% des citoyens espagnols partagent les arguments des manifestants du 25S. Et 50% d'entre eux partagent en plus de leur arguments, leur façon de agir. Plus encore, 61% des votants du Partido Popular ( le parti conservateur du gouvernement ), partage les arguments de la manifestation. Qu'est qu'il y a eu? Pourquoi les stratégies répressives et criminelles du gouvernement contre les manifestants n'ont pas fonctionné? Au contraire, même si les images des personnes cagoulées
(infiltrés ou non) attaquant la police ont été diffusées mille fois sur les journaux télévisés, 57% des interrogés considèrent excessive la conduite de la police. Pourquoi les stratégies de manipulation policières ne fonctionnent plus en Espagne?

Pour y trouver une réponse, il faut mieux connaître le mouvement qui a été derrière du mouvement de protestation. Depuis 15 mai 2011, un mouvement de protestation massive exigeant une révolution démocratique a émergé en Espagne. Organisés sur Internet et les réseaux sociaux, des millions de citoyens mécontents ont manifesté pour exiger une 'vraie démocratie' en campant dans les places principales des villes. Entre 6'5 et 8 millions de personnes ont participé à un mouvement qui a pris le nom de mouvement 15M. Ce mouvement a été constitué de manière similaire à d'autres mouvements dont le Printemps Arabe, le mouvement Occupy et d'autres mouvements européens contre l'austérité. Mais la principale différence entre le mouvement en Espagne et celui dans d'autres pays, c'est est que le 15M est formé de ce qui probablement est la plus grande masse critique d'activistes sur les réseaux sociaux du monde entier. Avec 'activistes sur les réseaux sociaux' on ne fait pas référence aux 'click activistes' qui diffusent les demandes de change.org, mais des personnes qui utilisent les réseaux sociaux pour s'organiser afin de mener des actions dans la rue. Manifestations massives, actions pour l'arrêt des expulsions des logements, enfermements dans les centres scolaires pour protester contre les coupures, campagnes pour porter plainte contre les responsables de la crise économique...chaque semaine les réseaux espagnols grouillent de convocations de manifestations attaquant les fondements d'un système politique qui crée de plus en plus de l'injustice.

À travers de la action sur les réseaux sociaux et la désobéissance civile dans la rue, ce mouvement dispose de nouveaux outils pour combattre la répression et la criminalisation policière. En fait, le mouvement a réussi à tirer profit des les attaques de la police et des médias. Ces agressions n'ont fait que le renforcer. Pendant les premiers jours du mouvement, après les manifestations massives qui exigeaient une "vraie démocratie, maintenant", la police a démantelé un campement qui s'était installé dans la place Del Sol à Madrid. Aussitôt, la toile s'est remplit de vidéos sur le démantèlement qui montrent comment la police évacuait un par un les manifestants qui, assis par terre, essayaient de résister pacifiquement. Les participants aux manifestations, indignés par la manque d'information des médias sur les manifestations de la journée contestataire du 15 mai, interprètent ces images comme la meilleure évidence qu'il n'y a pas une vraie démocratie. Lendemain matin, des petits groupes de personnes ont commencé à camper sur les principales villes du pays. Ce soir, dizaines de milliers de personnes ont pris plusieurs places dont la Place Del Sol sans que la police ne l'ait pas pu empêcher. Lendemain, les sit-in étaient devenus des points fixes de rassemblement en masse avec des millions de personnes de tout le pays.

Deux semaines plus tard, le gouvernement de Catalogne dit que le moment de mettre fin aux campements est arrivé. Alors, les policiers antiémeutes sont envoyés pour démanteler les campements de Barcelone et de Lleida. Ensuite, il commence à circuler sur Internet des images en directe des antiémeutes qui frappent les gens qui, assis par terre, résistent pacifiquement. Dans ces images frappantes, des milliers de personnes résistent face la police qui tire indistinctement des balles de caoutchouc sur les manifestants. Ce jour-là, tous les 'trending topics' de twitter en Espagne concernent le démantèlement du campement à Barcelone. Les images, vidéos et commentaires enflamment la toile. Des centaines de milliers de personnes occupent de nouveau les places de chaque ville dont Barcelone, où la police est expulsée d'une place.

Ce schéma s'est répété à plusieurs reprises depuis le début du mouvement, il y a une année et demie. Quand la police attaque les manifestants, la toile s'active et commence à diffuser sans arrêt les images des événements. Ces images montrent l'indignation des citoyens et provoquent des réponses créatives et fortes contre la répression. À ce moment-là, le mouvement s'empare de la toile. Les politiciens, les médias et la police ont peu à faire pour influencer sur l'opinion publique. Et c'est justement ce qui s'est passé le 25S. Les activistes ont retransmis en direct tout ce qui s'est passait pendant la manifestation: dès les sit-in devant le congrès où les manifestants faisaient face aux charges policières, aux manifestants cagoulés qui, d'abord, attaquaient la police et ensuite commençaient à interpeller les manifestants.

Grâce à la technologie, les mouvements disposent d'outils pour dépasser leurs limitations communicatives et rendre inactives ceux que le pouvoir utilise pour les annuler et décréditer. Depuis le printemps arabe, les mouvements activistes ont éprouvé un changement radical dans leur façon de s'organiser. Et tout semble indiquer qu'on assistera dans les prochaines années à une plus grande synergie entre les mouvements et les technologies de l'information. On avance vers un profond changement social de plus en plus imminent.

Miguel Aguilera
(traduit par Laura Pérez)

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