Traiter le choc post-traumatique des conflits du Burundi et de la région des grands lacs africains

Publié dans Le Fusil brisé, Décembre 2013, No. 98

Le dictionnaire libre sur Internet définit le traumatisme comme « un évènement ou une situation qui cause une profonde détresse et une brutale dislocation ». Au Burundi, au Rwanda, en RDC, les guerres civiles et les violents conflits entre groupes ont ravagé ces pays de la région des grands lacs africains pendant les cinquante dernières années et constituent des évènements traumatisants. La communauté internationale cite le nombre de morts pour mettre en vedette l’impact de tels conflits sur les populations et les pays. Ces évènements ont été gravement traumatisants ; les victimes du Burundi, du Rwanda et de RDC sont estimées à sept millions.

Le but de cet article est double. Discuter la complexité du traumatisme des conflits au Burundi et autour des grands lacs africains, puis proposer des voies pertinentes culturellement pour aborder les problèmes liés aux chocs post-traumatiques des guerres dans cette partie du monde. Puis, conclure avec des réflexions générales sur la guérison des traumatismes entretenus, afin de tracer le chemin vers un avenir de paix et de nonviolence.

Comprendre la complexité du traumatisme

Traiter des problèmes post-traumatiques de cette région, demande une compréhension plus large de leur complexité. Les survivants de ces violents conflits ont été et sont encore sous l’angoisse causée par leurs expériences, souvenirs, pauvretés, déplacements et peurs. Brève explication des éléments constitutifs de ces traumatismes.

Les expériences comme traumatismes

Les habitants du Burundi et des grands lacs ont témoigné et expérimenté leur souffrance indélébile depuis cinquante ans. Le monde doit se demander s’ils peuvent encore être qualifiés de « survivants ». Beaucoup n’ont pas vraiment survécu au carnage et ne font que mourir plus lentement que ceux qui ont été tués avec des machettes, canons et autres armes. Quand les gens parlent de ce à quoi ils ont assisté, de ce qu’ils ont entendu, et recomptent le péage émotionnel de leur « survivance », il est évident qu’ils n’ont pas survécu, tant leur traumatisme est palpable.

Les mémoires comme traumatisme

Au Burundi, une vague très significative de deuils a émergé ces dernières années, avec veuves et enfants des victimes du génocide des hutus en 1972, par le gouvernement à majorité tutsi et militaire. Quand ces survivants relatent les évènements autour de la perte de leurs maris et pères, c’est comme si 1972 était juste hier. Leur douleur, les larmes, la colère prouvent un vif traumatisme. Quelques familles de 1972 ont organisé des cérémonies traditionnelles et culturelles de deuil pour honorer ceux qu’ils aimaient, pour commencer avec retard le processus de cicatrisation, qui leur a été dénié pendant les atrocités et les années suivantes. Malheureusement, ces cérémonies restent incomplètes puisque les chagrins encore actuels des familles n’ont pas de monument [lieu de mémoire] – un souvenir plein de douleur puisque ceux qu’ils aimaient ont été massacrés et jetés dans l’anonymat de fosses communes.

La pauvreté comme traumatisme

Les conflits entre groupes au Burundi, Rwanda et RDC, en plus des vies humaines ont détruit les maisons et l’environnement naturel, laissant les survivants, particulièrement les femmes, se débrouiller pour ramasser les morceaux. Il n’y a pas de plus grave traumatisme que d’être incapable de pourvoir aux besoins de ses enfants. Aujourd’hui, un grand nombre de femmes, souvent veuves, vivent dans le désespoir et une pauvreté débilitante, incapables de prendre soin et d’éduquer leurs enfants orphelins.

Les déplacements comme traumatisme

Les violences cycliques intergroupes du Burundi et de la région des grands lacs ont poussé des millions de personnes à chercher refuge dans d’autres pays. Certains de ces réfugiés ont prospéré, selon les normes internationales, souvent en réussissant une intégration économique et éducationnelle dans leur pays d’accueil. L’intégration signifie habituellement d’avoir à élever des enfants coupés de leurs familles au sens large, avec les problèmes d’identité psychologique que ces situations occasionnent. C’est pourquoi le choc traumatique comprend les déplacements de populations.

La peur comme traumatisme

En langue Kurundi, il y a un dicton : « Ingoma Yagukanze Irahuma Ugahunga » qui se traduit ainsi « le son du tambour qui vous traumatise, vous incite à fuir. » Les années de conflits et de violence ont érodé la confiance intergroupe et interpersonnelle, tant au Burundi que dans la région des grands lacs. Le phénomène des voisins tuant leurs voisins, des femmes trahissant leurs maris et les vendant aux tueurs, et bien d’autres exemples de traitrises entre les personnes ont contraint les survivants à vivre en marchant sur des coquilles d’œufs. Bien qu’au Burundi, les gens se montrent passionnés à partager leurs histoires de souffrance et de traumatismes, ils trouvent difficile de se faire confiance les uns aux autres. La situation est pire au Rwanda, où il est interdit aux gens de reconnaître leur appartenance ethnique, contraints d’adopter le discours du gouvernement actuel « nous sommes tous des Rwandais ». Soigner le choc post-traumatique des guerres oblige à considérer l’héritage de la peur et de tout ce qui suscite la crainte.

Guérison des traumatismes par des facteurs culturels

La sagesse du Burundi apprend que : « Uwushaka Gukira Ingwara Arayirata », ce qui veut dire que toutes les maladies doivent être mises à découvert pour pouvoir guérir. Ce proverbe suggère que les chocs post-traumatiques des guerres de la région des grands lacs africains doivent être une partie du discours public pour devenir un remède efficace. Comment y parvenir dans des cultures renfermées ? Une voie serait d’engager les villageois dans des groupes de soutien et de dialogue d’âge et sexe appropriés. Ces groupes seraient organisés avec une haute sensibilité aux problèmes de divisions, telle l’appartenance ethnique, où des sessions internes aux groupes de dialogues précèdent celles des intergroupes de discussions afin de maximiser les sentiments de sécurité et de confiance. Dans de tels groupes, les parents pourraient être entraînés sur la manière de mener des dialogues similaires au sein de leurs propres familles.

Soigner les problèmes traumatiques suppose de traiter la pauvreté. Il y a une misère rampante causée par toutes ces années de conflits destructeurs et par la politique des leaders des pays émergeants, concentrés sur leurs propres gains matériels plutôt que par le bien être de leurs populations. Au Burundi de tels chefs amassent des richesses et des propriétés – souvent provenant des villageois désespérés – pendant que les gens sont de plus en plus démunis. L’écart entre les possédants et non-possédants s’accentue encore profondément, exacerbant le traumatisme post-conflits. Cependant, l’ère post-conflit est un moment de confiance pour les nouveaux leaders politiques du Burundi, Rwanda et RDC. Assumant et espérant leur engagement pour la guérison des traumatismes de leurs peuples et nations, ils doivent réfléchir et agir sur cette question importante : utilisons-nous nos pouvoirs politiques nouvellement acquis pour faire avancer le bien commun ou nos propres gains économiques ? Nourrir de façon culturellement pertinente la guérison des traumatismes signifie reconnaître que le passé n’est pas réellement passé, et que le silence – particulièrement le silence imposé – ne va pas dans le bon sens. Burundi, Rwanda et RDC doivent avouer et assumer leurs histoires respectives des conflits intergroupes, à partir des pratiques traditionnelles précoloniales, des politiques coloniales du diviser pour régner, jusqu’aux défaillances post indépendance afin d’unir et émanciper leurs peuples. Le passé contient des confiances qui dont il faut parler avant de pouvoir négocier et envisager des avenirs de paix et de nonviolence.

Conclusion

Les conflits violents et les guerres intergroupes ont causé d’incalculables détresses et dislocations parmi tous les gens du Burundi, Rwanda et RDC à travers tous les groupes ethniques et les couches sociales. La guérison des chocs post traumatiques des guerres doit commencer par une reconnaissance de nos pertes partagées, de nos douleurs mémorielles communes et du partage de nos incertitudes pour le futur. Une telle reconnaissance nous conduira enfin à la validation de notre humanité partagée. Jamais le partage nos valeurs Ubuntu n’a été plus crucial. La guérison de la guerre et de ses traumatismes ne peut se faire que tous ensemble.

Élavie Ndura

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