Rançon ou amende ?

Étrangeté d'un principe juridique

Des milliers de jeunes hommes et femmes ont fui l'Érythrée et demandé l'asile dans des pays voisins comme le Soudan, la Libye, l'Éthiopie ou en Europe et aux États-Unis. Ce phénomène a surtout pris de l'ampleur après la guerre qui a opposé l'Érythrée à l'Éthiopie entre 1998 et 2000 avec les actes flagrants de répression par le gouvernement en place en Érythrée.

Cet exil massif est un des moyens pour les jeunes hommes et femmes de tenter d'échapper à la conscription ou de donner suite à une désertion de l'armée. Le service national, obligatoire pour les hommes comme les femmes âgéEs de 18 à 40 ans, a vu sa durée de 18 mois telle qu'instituée par la législation en 1994 se prolonger indéfiniment. Outre les outrageantes violations des droits fondamentaux des appeléEs au service national, la conscription consiste en un service militaire et en travaux effectués pour des chantiers de construction en lien avec l'armée.

Le droit à l'objection de conscience au service militaire n'est pas reconnu par les autorités érythréennes. Des rafles sont fréquemment organisées pour enrôler les insoumis et déserteurs. Une fois entre les mains de l'armée, les déserteurs risquent la détention arbitraire indéfinie, la torture, les mauvais traitements et sont même parfois abattus par leurs chefs. Ce sont les méthodes régulièrement utilisées par la Force de défense érythréenne pour punir l'insoumission, la désertion ou autres infractions militaires. Cependant, aucune de ces mesures n'a découragé ces hommes et femmes pour éviter l'armée ou en déserter.

La dernière disposition mise en place par le gouvernement consiste à prendre en otage les parents des déserteurs et insoumis pour les obliger à verser de l'argent. Pour un gouvernement qui dépend principalement des rentrées de fonds pour garder une devise forte, de telles mesures semblent lucratives. Cependant, la dure réalité est différente. La plupart des réfractairEs n'ont aucune chance d'atteindre les pays à partir desquels ils pourraient renvoyer l'argent de la rançon qui permettrait de relâcher leurs proches détenus. La majorité des réfractaireEs restent dans les pays voisins comme le Soudan ou l'Éthiopie, coincéEs dans des camps de réfugiés. Leurs moyens d'existence dépendent des organisations humanitaires internationales et des organismes d'aide aux réfugiés.

Selon le bulletin n° 329 d'Amnesty International, en décembre 2006, le gouvernement érythréen a arrêté plus de 500 prochEs, la plupart parentEs, de jeunes hommes et femmes ayant déserté l'armée ou évité la conscription. Les personnes arrêtées étaient les pères, les mères ou autres proches d'hommes ou de femmes de plus de dix-huit ans qui ne s'étaient pas présentés au service national depuis 1994, qui n'avaient pas assisté à la dernière année d'étude obligatoire au camp d'entraînement militaire de Sawa, qui avaient quitté leur unité militaire ou qui avait quitté le pays illégalement. Leurs proches avaient été accusés d'avoir facilité leur insoumission, leur désertion ou leur départ du pays.

La dernière vague d'arrestations a débuté le 6 décembre 2006 dans les villages du Centre, autour d'Asmara, la capitale. Depuis qu'il a instauré sa politique visant à arrêter les parents pour les délits présumés de leurs enfants, le gouvernement s'est appuyé sur les rapports de l'administration régionale (les Zobas) pour mener ses incursions.

Aucune des personnes interpellées n'a été officiellement inculpée, ni présentée devant un tribunal dans les 48 heures, comme le prévoient la Constitution et la législation érythréennes. Les autorités ont déclaré que les détenuEs devaient faire venir les conscrits manquants à l'appel ou s'acquitter d'une amende de 50_000 nafkas pour chaque enfant manquant à l'appel. Si ils ou elles refusent de coopérer ou de verser l'argent, ils et elles risquent des peines de prison indéterminées. Certaines familles peuvent être contraintes à payer pour deux ou trois de leurs enfants.

En juillet 2005, de la même manière, plusieurs centaines de proches de réfractairEs au service militaire avaient été arrêtés dans la région Sud. Ils et elles ont été emprisonnéEs, sans aucun lien avec le monde extérieur, la plupart dans de terribles conditions, risquant tortures et autres mauvais traitements.

L'initiative antimilitariste érythréenne dénonce l'arrestation illégale des parents des réfractaires au service militaire. Notre initiative considère que le principe de responsabilité pénale individuelle, selon lequel nul n'est passible de sanctions pour un acte dont il n'est pas personnellement responsable, est un principe fondamental du droit repris dans le droit international relatif aux droits de l'homme. Ces arrestations de proches violent ce principe, et plus particulièrement les droits à la liberté individuelle et à la sécurité, ainsi que celui en vertu duquel nul ne peut être arbitrairement arrêté ou détenu, tels que consacrés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, dont l'Érythrée est État parti.

Abraham G. Mehreteab

Initiative antimilitariste érythréenne

Mühlgasse 13, 60486 Frankfurt/Main, Allemagne Site internet : www.eritrean-ai.com

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